«Notre guérilla n’a pas d’avenir»
Dans un camp de réfugiés au Bangladesh, nous avons rencontré un commandant de la rébellion rohingya, que la Birmanie tente d’anéantir par tous les moyens
L’allure soignée et la voix douce, Zubair est un jeune père de famille rohingya qui vit dans un camp de réfugiés au Bangladesh. Dans la clandestinité, il est un commandant de l’ARSA, l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan, et, depuis 2016, il dirige cent combattants.
C’est au cours de cette même année que l’ARSA a émergé dans l’Arakan (Rakhine) en Birmanie. Selon les experts, la formation d’un groupe armé semblait inévitable face à la sévérité des exactions des militaires bouddhistes contre la minorité musulmane des Rohingyas. En retour, l’armée birmane ratisse les villages de l’Arakan dans une chasse implacable aux «terroristes» de l’ARSA.
«Je formais des recrues»
«J’éprouvais un sentiment intolérable devant les souffrances de mon peuple et l’incapacité de la communauté internationale à y mettre un terme, explique Zubair. Nous avons décidé de nous défendre et de rendre justice nous-mêmes.» Zubair a rejoint l’ARSA après qu’elle eut attaqué, en octobre 2016, trois postes frontières près de Maungdaw (13 policiers morts). «L’ARSA était un message d’espoir, raconte-t-il. Beaucoup de jeunes ont rejoint le maquis à cette période. Durant l’hiver 2017, je suis devenu commandant. Je formais les recrues. Nous étions 2000 combattants. Mais notre arsenal était très limité: une douzaine d’AK-47, quelques armes à feu, des grenades, des cocktails Molotov, des couteaux, des bambous…»
Le 25 août 2017, l’ARSA coordonne plusieurs opérations et le commandant Zubair lance une attaque sur le poste militaire de Mingalar. En tout, 12 membres des forces de l’ordre sont tués. «A Mingalar, nous avons tué cinq policiers, dit-il. L’armée a contre-attaqué. J’ai perdu 30 hommes. Puis les soldats ont utilisé notre attaque comme prétexte pour encercler nos villages et nous massacrer. C’était déjà planifié. J’ai dû fuir au Bangladesh avec ma famille et des milliers d’autres Rohingyas.»
Selon lui, son groupe ne bénéficie d’aucun financement extérieur. Mais il affirme que l’ARSA serait prête aujourd’hui à recevoir l’aide des réseaux insurrectionnels internationaux. Un appel qui pourrait être entendu par des mouvements islamistes… D’après les spécialistes, la rébellion aurait déjà des liens avec des Rohingyas basés en Arabie saoudite, le fief natal du wahhabisme. Mais lorsqu’on demande à Zubair en quoi son idéologie est proche de ces courants, il répond: «Nous demandons le droit de pratiquer librement notre religion musulmane.»
Non au rapatriement vers la Birmanie
«Nous avons très peu de combattants restés en Birmanie, poursuit Zubair. Ce sont principalement les leaders, dont notre chef Atta Ullah. Ici, dans les camps, nous sommes 700 hommes. Nous n’avons pratiquement pas d’armes. Et nous ne pourrons jamais être forts au Bangladesh. Nous nous entraînons dans la forêt, où nous pratiquons les arts martiaux.» «Si la Birmanie reconnaît nos droits, nous déposerons les armes», assure Zubair. Mais il indique que, choqués par les massacres, de nombreux jeunes réfugiés veulent rejoindre les rangs de l’ARSA.
Comme les autres Rohingyas, il s’oppose au programme de rapatriement vers la Birmanie, selon un accord entre les deux pays voisins. «Les autorités ne doivent pas décider de notre sort sans nous consulter, dit-il. Pour cette raison, nous avons récemment assassiné dans les camps un représentant rohingya qui oeuvrait pour la mise en place de ce programme.»
«Notre guérilla n’a pas d’avenir, conclut Zubair. Et nos combattants ne sont pas éduqués. A mes yeux, le dernier espoir de justice reste l’intervention de la communauté internationale. Mais nous attendons les ordres de nos leaders.» ▅