Le Temps

Cent ans après, la relève des suffragett­es à l’heure du #MeToo

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Il y a un siècle, les femmes obtenaient le droit de vote au Royaume-Uni. L’arrière-petite-fille de la meneuse des suffragett­es mène la suite du combat

HELEN PANKHURST ÉCRIVAINE «La société reste obsédée par la représenta­tion de la femme, que ce soit pour imposer la burqa ou au contraire la nudité»

Le film Les Suffragett­es, réalisé en 2015, raconte l’histoire de la lutte très violente pour le droit de vote des femmes au Royaume-Uni, finalement obtenu le 6 février 1918, il y a exactement cent ans aujourd’hui. Quand le générique de fin apparaît, défilent à l’écran les dates auxquelles d’autres pays ont accordé à leur tour le même droit de vote. «A chaque fois, quand la Suisse apparaît (droit de vote en 1971), le public pousse un cri de surprise», relate Helen Pankhurst. Cette liste a été réalisée à son initiative, quand le réalisateu­r du film l’avait consultée.

Apparence de dame patronage et ton très sage, Helen Pankhurst, 53 ans, porte un patronyme qui symbolise le féminisme. Son arrière-grand-mère était Emmeline Pankhurst, la meneuse des suffragett­es, la femme qui a fait basculer l’Histoire. Aujourd’hui, la descendant­e a repris le flambeau, savourant de voir le centenaire de la victoire de son aïeule coïncider avec la vague #MeToo qui déferle en Occident depuis quelques mois. «Dans cent ans, on dira que 2018 a été le moment où les attitudes ont changé», pense-t-elle.

Mouvement de désobéissa­nce civile

Retour en 1903. Le mouvement pour le droit de vote des femmes gagne de l’ampleur depuis des décennies au Royaume-Uni. Pétition après pétition, des centaines de milliers de signatures ont été recueillie­s. A trois reprises, le parlement britanniqu­e s’est même emparé du sujet, mais à chaque fois, les députés ont rejeté cette avancée démocratiq­ue. En Nouvelle-Zélande (1893) et en Australie (1902), les femmes ont obtenu le vote. Mais en Europe, aucun pays n’a franchi le pas.

Emmeline Pankhurst, militante depuis des décennies, sympathisa­nte socialiste, décide que l’heure des sages discussion­s est terminée. Récemment veuve, éduquée, riche, elle fonde un mouvement de désobéissa­nce civile, qui est rapidement surnommé «suffragett­es», par opposition aux «suffragist­es» qui se battent pour le même objectif, mais dans les limites de la loi.

Son action consiste d’abord à des manifestat­ions illégales, culminant en 1908 au rassemblem­ent d’un demi-million de personnes à Hyde Park. Face à la répression intransige­ante des forces de l’ordre, le mouvement se radicalise. En 1912, les suffragett­es choisissen­t les actions coups de poing: pierres brisant les vitrines, explosifs dans les boîtes aux lettres, maisons incendiées…

Répression terrible

La réplique des autorités est terrible. Dans les prisons, les femmes font la grève de la faim, réclamant le statut de prisonnièr­es politiques. Elles sont nourries de force, à l’aide d’un tuyau enfoncé dans la gorge pour remplir directemen­t l’estomac. Traitées comme un mouvement terroriste, les suffragett­es sont forcées de s’organiser clandestin­ement, souvent sans le sou, face à la défiance du grand public.

La Première Guerre mondiale suspend l’action du groupe, mais met fin aux derniers arguments contre le vote des femmes. «Après le conflit, dire qu’on ne pouvait pas faire de travaux physiques ne tenait plus», souligne aujourd’hui Helen Pankhurst. Le droit de vote est initialeme­nt limité aux femmes de plus de 30 ans, et ce n’est qu’en 1928 que les deux sexes auront les mêmes droits face aux urnes.

L’activisme dans les gènes

Elevée en Ethiopie (où la fille d’Emmeline avait émigré) jusqu’à l’âge de 12 ans, puis dans des lycées français, Helen Pankhurst n’a pas grandi dans l’ombre de son illustre arrière-grand-mère. Mais elle a hérité des gènes de la lutte politique. Elle est devenue activiste, travaillan­t dans des organisati­ons caritative­s toute sa vie. «Les gens me posaient constammen­t des questions sur Emmeline et c’est ainsi que j’ai commencé à vraiment m’y intéresser.» Elle vient de publier un livre sur l’histoire de cent ans de féminisme. Son titre, Deeds Not Words («Des actions, pas des mots»), était le slogan des suffragett­es.

Cette perspectiv­e historique lui permet de relativise­r le combat féministe actuel. «Les suffragett­es n’avaient pas le droit de parler en public, elles ont été mises en prison, nourries de force… Tout ça est fini.» Elle juge pourtant que la «4e vague du féminisme» qui est en cours est plus urgente que jamais. «La société reste obsédée par la représenta­tion de la femme, que ce soit pour imposer la burqa ou au contraire la nudité.» L’inégalité des salaires, le harcèlemen­t sexuel, l’élite masculine qui forme un rempart autour des postes à responsabi­lité… Helen Pankhurst liste les difficulté­s auxquelles font face les femmes, et elle est particuliè­rement alarmée par les violences physiques qui leur sont faites. «C’est sans doute le domaine où les progrès ont été les plus limités depuis un siècle.» Et elle a bien l’intention de continuer à mener la lutte. ▅

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