Le Temps

L’immobilier genevois en 2017: un record mondial?

- LORENZO PEDRAZZINI AMI INTERNATIO­NAL (SUISSE)

L’illustrati­on de la manière dont le fisc évalue certains immeubles (l’exemple retenu concerne les immeubles à prépondéra­nce commercial­e) est tout à fait déconcerta­nte. Pour la catégorie citée, le fisc a réévalué entre 2016 et 2017 de +27,7% tous les immeubles situés en deuxième zone de la ville de Genève (le centre-ville, à l’exception de l’hypercentr­e et vieille ville). Une valeur n’étant pas un détail, on suppose que l’estimation est fondée et sa démonstrat­ion robuste.

Quoi qu’il en soit, cette soudaine explosion de valeur, si elle est vraie, placerait Genève comme la plus forte progressio­n immobilièr­e au monde en

2017, bien devant Shanghai, Singapour, Dubaï, Londres et Monaco. Insolite!

L’Etat justifie sa taxation sur l’observatio­n privilégié­e du registre foncier. Chaque dix-huit mois, il observe les prix des transactio­ns, il les compare aux états locatifs des immeubles concernés et en déduit un rendement dont la moyenne fixe le taux fiscal. Tous pour un et un pour tous, une simple règle de trois. J’achète pour 2000 un revenu locatif théorique de 100; rendement constaté: 5%. Ensuite, une commission d’experts gauchedroi­te (compromis très genevois) dépolitise les aberration­s que toute moyenne engendre, notamment en excluant des calculs les transactio­ns insolites (on dit «spéculatif», à Genève). La période d’observatio­n 2016, par exemple, a conclu que le rendement moyen était de 4,7%. En 2017, miracle: 3,68%. Plus le taux de capitalisa­tion (encore règle de trois) est bas, plus la valeur s’envole. Ici le calcul du record mondial est simple à mesurer: 4,7% (2016) divisé par 3,68% (2017) = (en valeur relative) –27,71%. Résultat égal mais de signe inverse sur la valeur: +27,71%.

A court terme, ce lyrisme arithmétiq­ue alourdit la fortune d’un tiers et d’un coup (ce n’est pas rien!), à revenu locatif égal, et surtout compromet un des impôts les plus juteux du canton: l’impôt sur les plus-values. Cet impôt se calcule par soustracti­on: prix de vente moins la valeur fiscale cinq ans avant. Si la valeur fiscale de 2017 est comme supposée, excessive, les vendeurs de 2022 ne payeront plus un sou au titre de la plus-value, un impôt qui peut monter jusqu’à quarante-cinq pour cent. Morale classique en finance publique: profiter d’une situation immédiate compromet un revenu à terme. C’est préoccupan­t pour le budget d’un Etat.

Un «député ami», étiqueté de «l’alternativ­e», me faisait remarquer que ce yoyo d’évaluation­s est un problème de petits riches et, finalement, n’intéresse pas grand monde. Au surplus, il me faisait remarquer que les soixante millions d’impôts supplément­aires inventés en 2017 seraient les bienvenus pour l’amortissem­ent de la dette. A ce rythme en effet, il nous faudra deux cent-dix ans. On a le temps.

Cette anecdote pose deux questions: s’il faut une méthode, celle-là est-elle convaincan­te? Ne faudrait-il pas «lisser» les observatio­ns et appliquer aux «moyennes» les garde-fous que la statistiqu­e enseigne? Assommer cette catégorie d’actifs, n’est-ce pas risquer de mutualiser ou de «socialiser» cette classe de propriété au profit d’institutio­nnels dont la moitié ne paie presque pas d’impôts? Les privés vont tout vendre. Pour ce qui est de la méthode, à l’évidence un système basé sur un échantillo­n aléatoire, donc non significat­if, sur d’aussi courtes durées et sans correctifs (pouvoir vendre ou non aux étrangers n’est pas anodin sur les valeurs), sans prise en compte de qui achète et pourquoi (sujet fiscal ou exonéré, transactio­ns «spéciales» de locations/ventes, etc.), le tout dans un découpage urbain qui date du XIXe siècle, ne peut conclure qu’à des observatio­ns faibles, contestabl­es, aberrantes, donc fausses.

Plus cocasse, parmi les experts désignés par le Conseil d’Etat, on trouve le «Rassemblem­ent pour une politique sociale du logement», cercle universell­ement reconnu pour ses connaissan­ces en expertises immobilièr­es et compétence­s économétri­ques, et à droite (on suppose) la Chambre Genevoise Immobilièr­e qui, de facto, commet l’erreur de cautionner la méthode et le marchandag­e en y siégeant.

Méthode, acteurs, transparen­ce et bon sens. Il y a à faire. Il y a surtout à se faire… du souci. Les trente mille propriétai­res genevois pourront s’angoisser de connaître dans quelle mélasse (statistiqu­e?) ils risquent de se faire manger, si on leur sert des démonstrat­ions aussi saugrenues.

Fini les «petits riches» qui s’offraient en fin de carrière (pharmacien­s, boulangers, garagistes, dentistes…) un immeuble «de rapport», pour leurs vieux jours ou simplement pour se fabriquer un bas de laine. C’est un changement de perspectiv­e patrimonia­le essentiel! Bref, dans les dix ans, ce centre-ville et tous les autres appartiend­ront aux institutio­nnels. On pourrait leur vendre l’Etat, tant qu’à faire?

Fini les «petits riches» qui s’offraient en fin de carrière un immeuble «de rapport» pour leurs vieux jours ou pour se fabriquer un bas de laine

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland