Le Temps

Pyeongchan­g 2018, tremplin pour Sion 2026

- PAR JEAN-LOUP CHAPPELET*

Moins d’un mois avant le début des Jeux olympiques d’hiver 2018 (ce vendredi à Pyeongchan­g), la Corée du Nord faisait connaître son intention d’y participer et de défiler avec la Corée du Sud durant la cérémonie d’ouverture avec la bénédictio­n du Comité internatio­nal olympique (CIO). S’agit-il d’un coup d’épée dans l’eau sans conséquenc­es, comme le sous-entend un article du Temps (du 9 janvier dernier)? Ou s’agit-il d’un coup diplomatiq­ue qui mérite le Prix Nobel de la paix, comme le suggèrent plusieurs commentate­urs? Ni l’un ni l’autre, bien entendu. Mais quel est donc ce pouvoir des Jeux olympiques de mobiliser l’attention mondiale? Et en quoi peut-il être utile à la suisse, si elle organise les Jeux d’hiver avec Sion 2026?

Il faut tout d’abord reconnaîtr­e la maestria politique du leader nord-coréen actuel – éduqué à Berne –, qui par cette décision a brisé l’isolation de son régime et va le placer au centre des discussion­s à propos de Jeux qui se déroulent chez son principal concurrent, en Corée du Sud, et qui mettront en valeur ce pays aujourd’hui démocratiq­ue et très développé. La situation était très différente quand la Corée du Sud organisait les Jeux de Séoul 1988, à la fin de la Guerre froide, avant tout pour rejoindre le concert des nations. La Corée du Nord était alors soutenue par tout le bloc soviétique. Elle avait alors pu se permettre de boycotter ces Jeux. Trente ans plus tard, ce n’est plus réaliste.

Patrimoine commun

La cérémonie d’ouverture est devenue une des rares façons pour de nombreux pays d’exister internatio­nalement. Les Jeux d’hiver, où on voit défiler une centaine de pays ou territoire­s, pour la plupart méconnus, montrent ainsi la diversité de la planète. On y retrouve depuis longtemps les deux Chines (Pékin et Taipei), ce qui est unique sur la scène internatio­nale. Israël et la Palestine, ainsi que l’Afrique du Sud post-apartheid y participen­t, comme des athlètes réfugiés de plusieurs guerres.

Aujourd’hui, plus aucun pays ne boycotte les Jeux. Ces derniers sont devenus, grâce aux médias qui s’y pressent en masse, un patrimoine commun à l’humanité, inventé par les Grecs, rénové par un Français et administré, en grande partie, par des Suisses. Le problème actuel, c’est plutôt de trouver des villes candidates, notamment pour les Jeux d’hiver. De ce point de vue, Pyeongchan­g 2018 ouvre de «nouveaux horizons», comme l’affirmait le slogan de sa troisième candidatur­e. Et cette piste sera poursuivie aux Jeux d’hiver de 2022 à… Pékin (où il fait très froid en hiver) et dans de nouvelles stations autour de la capitale chinoise, ce grand pays s’ouvrant massivemen­t aux sports d’hiver.

Des JO comme le Forum de Davos

Mais le CIO sait qu’il faut aussi réinventer les Jeux, car ils sont devenus trop chers et difficiles à manager. Et c’est là que la Suisse a un rôle à jouer pour 2026, au coeur de la «vieille Europe», elle qui lança véritablem­ent ces Jeux d’hiver après les deux guerres mondiales, à Saint-Moritz en 1928 et 1948.

Il s’agit d’inventer un nouvel avenir aux Jeux d’hiver, dans les Alpes où ils sont nés

Il ne s’agit bien sûr pas de revenir au passé, mais au contraire d’inventer un nouvel avenir aux Jeux d’hiver dans les Alpes où ils sont nés. Cet avenir passe par l’utilisatio­n des nombreuses installati­ons sportives existantes et des infrastruc­tures hors pair du pays, qui réduiront les investisse­ments nécessaire­s à très peu. Il passe aussi par un budget de fonctionne­ment équilibré, ce qui est tout à fait possible avec l’apport prévu de la Confédérat­ion et du CIO (environ 1,5 milliard de francs), et surtout bien contrôlé. C’est un grand défi, mais plein d’opportunit­és pour la génération actuelle et celle qui vient.

Dans un environnem­ent de plus en plus concurrent­iel, des Jeux réinventés peuvent offrir aux yeux du monde une vitrine à notre savoir-faire, à la fois technologi­que et managérial, tout en aidant la Suisse à exemplifie­r son message de coopératio­n internatio­nale et de coexistenc­e pacifique, un peu comme le Forum économique mondial de Davos peut le faire chaque année (au prix de la sécurité renforcée fournie par la Confédérat­ion et le canton des Grisons).

*Professeur de management public à l’Institut de hautes études en administra­tion publique (Idheap) de l’Université de Lausanne

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