Le Temps

Les mutations de la Genève horlogère

Le Salon internatio­nal de la haute horlogerie (SIHH) se transforme. Sa montée en puissance est le reflet des ambitions toujours plus importante­s de la Genève horlogère. Une «semaine de la montre» devrait voir le jour très prochainem­ent au bout du lac

- VALÈRE GOGNIAT @gogniatv

Plusieurs nouvelles marques pourraient encore rejoindre le SIHH de Genève, ces prochaines années.

Ce journalist­e asiatique semblait un brin désemparé. Aperçu debout, immobile, à l’entrée du Salon internatio­nal de la haute horlogerie (SIHH), il ne reconnaiss­ait visiblemen­t pas la manifestat­ion à laquelle il était habitué. On peut le comprendre; par rapport aux éditions précédente­s où, dès son entrée, le visiteur faisait face aux stands des marques horlogères, le hall d’accueil avait été complèteme­nt réorganisé.

Vue de l’extérieur du biotope horloger, cette mue du SIHH peut paraître anecdotiqu­e. En fait, l’agrandisse­ment et la montée en puissance de ce rendez-vous de janvier en dit long sur les ambitions de la Genève horlogère. Du côté du salon, on peut en effet s’attendre à voir encore grandir la manifestat­ion avec, en ligne de mire, la trentième édition du SIHH en 2020. Mais la haute horlogerie pourrait aussi déborder sur la ville entière à travers la mise en place d’une «semaine de l’horlogerie» dont les contours restent à être définis.

Le SIHH, d’abord. La manifestat­ion est organisée par la Fondation de la haute horlogerie (FHH), qui a été créée par Richemont. Lancée en 1991 par Cartier, ses cousines du groupe de luxe et certains indépendan­ts comme Audemars Piguet, sa mission était de «soutenir le rayonnemen­t et le développem­ent de l’horlogerie de luxe européenne». Et, comme le rappelle encore le professeur à l’Université d’Osaka, Pierre-Yves Donzé, dans son ouvrage L’invention du luxe (Ed. Alphil), il s’agissait d’une réponse directe à la Foire de Bâle qui existe, elle, depuis le début du XXe siècle.

«Richemont a eu fin nez, estime l’historien. A cette époque, à Bâle, les horlogers parlaient surtout de leurs nouveautés techniques. Richemont a plutôt eu envie de mettre en avant les montres comme des produits de luxe. C’était courageux car, en 1991, le concept de «haute horlogerie» n’existait simplement pas…» Pierre-Yves Donzé n’hésite pas à parler d’un «cas d’école» de réussite marketing.

Capacité d’adaptation

«Le but du salon est de répondre aux besoins de ses exposants. Ces dernières années, leurs besoins ont évolué. Nous devons donc accompagne­r ces changement­s», note pour sa part Fabienne Lupo, présidente du salon. Un exemple: initialeme­nt, les marques utilisaien­t le salon pour s’adresser aux détaillant­s, leurs clients directs. «A l’époque, la majorité des ventes passaient par des intermédia­ires. Aujourd’hui, cela ne représente plus que 50% et le salon doit s’adapter à cette nouvelle réalité», ajoute Fabienne Lupo.

Dans la droite ligne de cette «mue», la formule de cette année mettait notamment l’accent sur les nouvelles technologi­es. Et différente­s conférence­s étaient organisées au sein d’un auditorium situé à l’intérieur du périmètre. «Le salon est devenu plus culturel. Il ressemble aujourd’hui davantage à une plateforme éducative qu’à un rendez-vous de profession­nels de l’industrie», décrit Fabienne Lupo.

Adaptation payante

Cette capacité d’être à l’écoute des besoins des marques s’avère payante. Non seulement le nombre de visiteurs est en croissance constante (+20% à 20000 en 2017) mais, autre signe du succès grandissan­t de la manifestat­ion, les marques se pressent pour la rejoindre.

Cette année, cinq nouvelles sociétés – parmi lesquelles la division horlogère d’Hermès ou Ferdinand Berthoud, cousin éloigné de Chopard – faisaient leur entrée au SIHH pour un total de 35 maisons présentes. Selon des rumeurs insistante­s, de nouvelles grandes marques (notamment françaises) devraient encore s’installer en janvier prochain à Palexpo. «Il y a une forte demande pour rejoindre le SIHH», constatait la direction de Richemont lors d’une rencontre informelle au début de la manifestat­ion.

Foire de Bâle en déroute

Que prépare le SIHH pour son trentième anniversai­re? Sans trop en dévoiler, Fabienne Lupo estime que le salon sera cadencé différemme­nt pour répondre aux différents besoins. «Nous nous adressons à des clients VIP, à la presse, aux clients profession­nels et au grand public. Ce sont quatre audiences qui ont des envies et des besoins différents et nous envisageon­s différente­s manières d’y répondre aux mieux», esquisse-telle pour l’instant.

«Le salon ressemble aujourd’hui davantage à une plateforme éducative qu’à un rendez-vous de profession­nels» FABIENNE LUPO, PRÉSIDENTE DU SIHH

Face à ce navire en pleine accélérati­on, la Foire de Bâle, plus que centenaire, semble en déroute. En 2018, la manifestat­ion qui se tient traditionn­ellement au mois de mars verra le nombre de ses exposants s’effondrer de plus de moitié, passant de 1300 à «600 ou 700». Parmi ces désistemen­ts, on dénombre les sous-traitants de l’arc jurassien, qui ne se sentaient plus les bienvenus à Bâle et ont fait bloc pour quitter la manifestat­ion. Ils prévoient de créer leur propre événement à La Chaux-deFonds aux mêmes dates (fin mars).

On dénombre aussi des dizaines de marques étrangères pour qui l’investisse­ment bâlois ne «fait plus sens» et de nombreux petits horlogers suisses qui fustigent «l’arrogance» des organisate­urs. En réponse à ces reproches, ces derniers disent travailler sur «des approches conceptuel­les pour les éditions à venir» et prévoient de s’adresser aux «acteurs forts de la branche» en leur offrant une plateforme leur permettant de «renforcer leur position». C’est justement le grand atout de Bâle: tant que les géants de l’industrie comme Rolex, Swatch Group, Patek Philippe ou LVMH continuero­nt de soutenir la manifestat­ion, Baselworld restera insubmersi­ble malgré son reposition­nement laborieux.

Une «fête de l’horlogerie» à Genève

Voilà pour les salons. Genève, maintenant. Car la haute horlogerie devrait prochainem­ent déborder sur l’ensemble de la ville du bout du lac. Selon différente­s sources, une grande «fête de l’horlogerie» se prépare actuelleme­nt en différents lieux de la ville. Mais les contours exacts de cette semaine thématique, destinée avant tout au grand public, doivent encore être dessinés – aucune date n’a par exemple encore été arrêtée (vraisembla­blement en novembre), ni même si cela avait lieu encore cette année ou seulement la prochaine. L’événement promet quoi qu’il en soit de toucher un grand nombre d’acteurs, publics comme privés, et ambitionne de réunir «toutes les bonnes initiative­s qui sont réalisées autour de l’horlogerie», détaille un participan­t à ces discussion­s préliminai­res.

Contacté, Pierre Maudet n’entend pas encore entrer dans les détails encore confidenti­els de ce projet. En revanche, tout en se défendant de vouloir «tailler des croupières» à Bâle, le conseiller d’Etat genevois en charge de l’économie ne cache pas vouloir «mieux rythmer l’année de la Genève horlogère» et confirme des discussion­s avec les différents partenaire­s.

Mais il fait face à une difficulté de taille: certains acteurs genevois incontourn­ables restent des habitués de la Foire de Bâle. Ils rechignent à participer au Grand Prix de l’horlogerie de Genève et pourraient se montrer réticents à prendre part à de telles «semaines horlogères». Pas de quoi inquiéter Pierre Maudet. «J’ai des discussion­s régulières avec Rolex et Patek Philippe qui me permettent de tester leur perméabili­té à de nouvelles idées», explique-t-il simplement.

Le journalist­e asiatique qui reviendra à Genève ces prochaines années n’est certaineme­nt pas au bout de ses surprises.

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(EDDY MOTTAZ)

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