2018, le début de la fin d’une décennie de taux bas
Les banques centrales commencent à envisager d’augmenter le loyer de l’argent, alors que la croissance semble solide. La Banque nationale suisse devrait, elle, attendre encore
Cette année, le monde devrait connaître la vague de croissance la plus large depuis 2010. C’est le Fonds monétaire international (FMI) qui l’affirmait dans ses prévisions publiées juste avant l’ouverture du WEF de Davos. L’institution a relevé son pronostic pour la croissance mondiale à 3,9% en 2018 et en 2019, notamment grâce à des perspectives meilleures que prévu en Europe et aux Etats-Unis. De quoi donner encore plus de marge aux banques centrales pour entamer ou poursuivre leur sortie des politiques monétaires non conventionnelles. Et sortir, enfin, d’une décennie de taux au plancher, voire négatifs.
«Je m’attends à voir des changements fondamentaux dans la politique monétaire en 2018, confirme Stefan Gerlach, chef économiste à la banque EFG. La Réserve fédérale (Fed) a relevé ces taux graduellement depuis décembre 2015 et il est probable que la vitesse des hausses de taux s’accélère cette année.»
La Fed, «cette marée qui soulève tous les autres bateaux», selon la formule de l’expert, est en effet la première banque centrale à avoir entamé le processus de sortie des politiques non conventionnelles à la faveur d’une croissance plus solide qu’en Europe. D’abord avec le «tapering», c’est-à-dire la fin des programmes de rachats d’actifs, puis avec les taux d’intérêt.
Improbable avant la fin de l’année
La Banque centrale européenne (BCE), elle, devrait se montrer moins pressée. «La vitesse du resserrement des taux va varier en fonction des régions. En Europe, ce processus sera plus lent et dépendra de la façon dont l’économie européenne évoluera», poursuit Stefan Gerlach. Si le boom continue, la BCE commencera son propre «tapering» (les rachats d’obligations, notamment) à l’automne, prédit l’économiste, qui juge improbable qu’elle commence à relever ses taux d’intérêt avant la fin de l’année.
Et si elle le fait, ce sera modeste. «Les taux d’intérêt devraient remonter en Europe et aux Etats-Unis cette année, en ligne avec l’accélération de la croissance, la hausse de l’inflation et des politiques monétaires moins accommodantes. Pour autant, les niveaux resteront bas en comparaison historique», juge de son côté Valentin Bissat, économiste senior chez Mirabaud Asset Management, qui considère que la BCE attendra peut-être même 2019 avant de décider de sa première hausse de taux. Ce dernier estime que l’inflation restera faible cette année – 1,4% en 2018 et 1,6% en 2019, selon les prévisions d’automne de la Commission européenne – et rappelle que «le taux d’intérêt réel d’équilibre a fortement baissé depuis la crise financière».
Quant à la Banque nationale suisse (BNS), à peu près aucun expert ne la voit enclencher une politique plus restrictive en 2018. «Il est peu probable que la BNS remonte ses taux avant la BCE, afin d’éviter une forte appréciation du franc. Par ailleurs, la croissance est trop fragile et l’inflation trop faible pour envisager que les taux d’intérêt se rapprochent de leur niveau d’avant crise», prévient Mathilde Lemoine, cheffe économiste chez Edmond de Rothschild.
Selon Stefan Gerlach, la BNS devrait cependant moins intervenir sur le marché des changes pour lutter contre l’appréciation du franc. La monnaie suisse devrait en effet subir moins de pression du fait de la croissance encore solide prévue dans la zone euro. Et d’autant moins si la BCE met fin à ses politiques monétaires non conventionnelles.
De manière générale, les banques centrales ont tout intérêt à avancer prudemment dans ce cycle de resserrement pour plusieurs raisons. «La Fed est un peu en avance car l’économie américaine a crû de 2,2% en moyenne par an depuis 2012 et le taux de chômage est historiquement faible, reprend Mathilde Lemoine. Mais elle ne peut pas augmenter ses taux trop rapidement, sinon les flux de capitaux à la recherche de rendement s’abattraient sur les Etats-Unis et engendreraient une appréciation du dollar insupportable.»
La Fed devrait donc «limiter ses hausses de taux d’intérêt directeurs, tout en faisant en sorte que les taux d’emprunts souverains à long terme n’augmentent pas trop fortement». Car, «si les taux d’intérêt restent faibles, c’est parce que la croissance est trop instable pour supporter une autre politique monétaire», rappelle l’experte.
Autre risque, le «scénario dont les conséquences seraient les plus négatives pour l’économie et les marchés serait une hausse rapide et importante des taux obligataires», prévient Valentin Bissat, sans pourtant y accorder trop d’inquiétude. Il estime que «les conditions financières resteront accommodantes, ce qui limitera le risque de tuer la reprise économique».
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«La croissance est trop fragile et l’inflation trop faible pour que les taux se rapprochent de leur niveau d’avant crise» MATHILDE LEMOINE, EDMOND DE ROTHSCHILD