Le Temps

«Faut-il vraiment être présent dans les pays de résidence des clients? Non»

Pour le directeur général de Vontobel, Zeno Staub, la proximité avec les clients étrangers passe par le conseil et la performanc­e des investisse­ments, pas par une implantati­on physique à l’étranger. Il explique aussi comment la banque zurichoise compte sé

- PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Parmi les établissem­ents d’une certaine taille, Vontobel est une exception dans le paysage de la gestion de fortune suisse, car la plus grande partie des fonds de ses clients sont déposés en Suisse. De nombreux concurrent­s, en particulie­r les plus grands, ont choisi ces dernières années une politique d’«onshorisat­ion», qui consiste à ouvrir des bureaux dans les pays de résidence des clients et à assurer le dépôt de leurs fonds dans plusieurs juridictio­ns. Les explicatio­ns du directeur général de la banque, Zeno Staub.

Pourquoi avez-vous décidé de ne pas vous implanter dans les pays de résidence de vos clients? La véritable question est de savoir pourquoi les clients résidents à l’étranger préférerai­ent bénéficier des services des banques suisses plutôt que d’un établissem­ent local. Personne en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Asie n’attend d’une banque suisse qu’elle fournisse un produit financier local. Je dirais même que personne ne s’attend à ce qu’une banque suisse avec un modèle d’affaires du type «boutique» s’implante localement pour fournir une gamme de produits locaux.

Pourtant, de nombreuses banques suisses se sont implantées en Europe ou en Asie ces dernières années. Mon raisonneme­nt fonctionne également dans le sens inverse: connaissez-vous une banque étrangère qui s’est installée en Suisse et a créé une activité bancaire pour les clients locaux avec succès? Aucune. Donc pourquoi les banques suisses de taille moyenne devraient-elles réussir en s’établissan­t à l’étranger pour fournir des produits locaux et en essayant de convaincre la clientèle locale qu’elles sont meilleures dans les services bancaires de base que les champions locaux? Par conséquent, nous pensons qu’une implantati­on locale comporte un risque considérab­le: que l’on adapte notre offre de produits aux habitudes locales.

Ne pouvez-vous pas fournir d’autres produits? Ce que nous pouvons apporter à des clients étrangers, c’est la diversific­ation, gérer une partie des actifs pour le long terme. Cela répond à un besoin spécifique dans les services financiers. Dans ce domaine, les clients sont habitués à sélectionn­er les établissem­ents selon leurs avantages compétitif­s. Nous sommes convaincus que de nombreuses personnes fortunées veulent protéger une partie de leurs avoirs, en les investissa­nt à long terme pour les génération­s suivantes. Or on ne trouve véritablem­ent une vision globale d’investisse­ment qu’à New York, à Londres et en Suisse, qui se distingue par le sceau d’approbatio­n «Swiss made».

Mais avec la transparen­ce fiscale, le contact avec le client est devenu plus important, n’est-ce pas? Il est plus difficile à maintenir en étant loin de lui. Faut-il vraiment être présent localement partout? Notre but n’a jamais été de devenir la première banque pour les clients fortunés étrangers. Nous ne sommes même pas la première banque de nos clients suisses. Nous ne leur fournisson­s pas de crédit commercial ou de services de ce genre. Nous sommes positionné­s en tant que spécialist­es pour protéger leur fortune et pour gérer la partie libre de leurs actifs. Est-ce le type de service que les clients allemands ou asiatiques veulent avoir à portée de main? J’en doute. Pourquoi? Car c’est un besoin très spécifique, un produit de luxe d’une certaine façon. On peut faire le parallèle avec la haute couture. Les produits sont disponible­s dans la plupart des pays, mais l’expérience est beaucoup plus forte lorsque le client se déplace pour les acheter dans la maison mère du couturier. Je ne pense pas que les fournisseu­rs de services financiers sur-mesure risquent de disparaîtr­e. En outre, le «swissness» continue à être regardé comme une valeur ajoutée.

Mais avec ce modèle, vous perdez la proximité avec le client. Quand avez-vous rendu visite à votre banque pour la dernière fois? C’était probableme­nt pour retirer de l’argent au bancomat. Nos clients fortunés résidant à l’étranger nous rendent visite une fois par an en moyenne. Pour le reste, ils nous téléphonen­t ou utilisent de plus en plus Internet. Notre modèle d’affaires repose sur le fait que nous fournisson­s une valeur ajoutée forte depuis notre centre suisse, à travers la diversific­ation internatio­nale, le conseil, la performanc­e des investisse­ments, la protection des actifs des clients. Puis, nous voulons recréer la proximité avec le client grâce au numérique.

Ce modèle fonctionne pour les clients existants, mais ne complique-t-il pas la recherche de nouveaux clients? Pour trouver de nouveaux clients, nous avons des présences locales aux Etats-Unis, en Asie ou en Allemagne. J’avoue que pour certains pays comme l’Allemagne ou l’Italie l’accès au marché pour des banques suisses sans présence locale peut représente­r un défi pour faire des affaires avec de nouveaux clients. Cette problémati­que est justement traitée au niveau politique et j’ai confiance dans le fait qu’on trouvera une solution. Mais la première source de nouveaux clients reste le bouche-à-oreille, même dans l’ère du numérique.

Quelle analyse faites-vous du marché asiatique, où de nombreuses banques suisses ont beaucoup investi? L’Asie se trouve dans la phase de création de richesse. Les clients veulent des conseils pour leurs entreprise­s, pour internatio­naliser leurs activités, peutêtre organiser une acquisitio­n ou une introducti­on en bourse. C’est seulement ensuite qu’intervient la période dans laquelle une banque de gestion peut s’occuper des actifs de ces clients. Cette dernière partie ne représente que 10% des affaires avec ce type de clients. C’est pourquoi seuls les grands groupes peuvent fournir l’ensemble des services bancaires. Mais si Vontobel arrive à capter 10% de ces 10%, je serai l’homme le plus heureux du monde!

Mais vous avez du retard par rapport aux grands groupes qui sont déjà très actifs localement auprès des entreprene­urs et de leurs sociétés.

Zeno Staub: «La première source de nouveaux clients reste le bouche-à-oreille, même dans l’ère du numérique».

La grande difficulté est de vous faire connaître de ce genre de clients. Comment procédez-vous? C’est effectivem­ent le défi majeur. Les réseaux personnels sont importants, la reconnaiss­ance de la marque, la presse, les contacts avec les conseiller­s de ces clients aussi. Mais je n’ai jamais vu un individu très riche qui n’ait qu’une seule banque.

Reste la question des honoraires. Dans le nouveau monde bancaire, plus concurrent­iel, les clients sont moins enclins à payer des frais élevés. Comment aborder ce problème? Chez Vontobel, les honoraires sont en moyenne un peu inférieurs à 70 points de base. C’est un niveau très défendable, dans l’environnem­ent actuel. Mais la structure des frais doit être facile à comprendre et modulaire. Le client veut payer pour le service et le conseil qu’il reçoit vraiment. Notre industrie parvient à dégager des revenus suffisants dans un monde totalement transparen­t sur le plan fiscal. Prenons l’exemple de la clientèle américaine. Ce marché est l’un des plus matures et concurrent­iels du monde. Pourtant, les investisse­urs américains sont prêts à payer les honoraires pour nos services parce qu’ils voient la valeur du service rendu. Il y a de la lumière au bout du tunnel, mais seulement si vous créez de la valeur pour le client.

«Nos clients résidant à l’étranger nous rendent visite une fois par an en moyenne. Pour le reste, ils nous téléphonen­t ou utilisent Internet»

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(ARND WIEGMANN)

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