Une mue historique, sans garantie financière
Nouvelle Comédie, Cité de la musique, Théâtre de Carouge: Genève va se doter d’infrastructures exceptionnelles, sans être sûr de pouvoir en financer les ambitions
Cette grue est un rêve. Cette fosse, une promesse. Jamais Genève n’a construit autant d’infrastructures culturelles. Verni sera le prochain président du Conseil d’Etat. Ses ciseaux seront d’or au moment d’inaugurer la Nouvelle Comédie – promise pour 2020 –, le Théâtre de Carouge, la Cité de la musique, cette philharmonie de rêve, dont la construction est financée, elle, par des privés.
Une loi contestée
Mais tandis que les grues tournicotent, les politiques s’arrachent les cheveux. C’est qu’il ne suffit pas de changer le décor, il faut être en mesure de l’habiter, c’est-à-dire trouver l’argent pour que ces institutions soient à la hauteur des ambitions. La loi de 2015 sur la répartition des tâches entre le canton et les communes a redistribué les rôles. Pour ses partisans, elle les a clarifiés, mettant fin aux doublons – deux collectivités publiques finançant une activité. La Ville de Genève embrasse ainsi sous son aile les frais de fonctionnement de la Nouvelle Comé- die, ceux du Grand Théâtre, l’aide à la création vivante aussi. Le canton, lui, se concentre sur le livre. «Une hérésie», déplorent les acteurs culturels.
A l’orée de l’été, ceux-ci lançaient une initiative populaire constitutionnelle demandant que le canton assume ses responsabilités dans le domaine. Le 3 janvier, ils la déposaient, forts de 14205 signatures. Directrice de Fonction: Cinéma, Aude Vermeil est l’une des artisanes du mouvement: «Si on entérine la loi de 2015, nos grandes institutions, le Grand Théâtre et la Nouvelle Comédie, sont en danger. Sans parler de la création vivante, qui ne saurait dépendre de la Ville seule. Ce qu’on demande, c’est le cofinancement qui induit la concertation et la collaboration entre les collectivités.»
La conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta, qui tient les rênes de la culture sur le plan cantonal, se dit d’accord sur le principe du canton coordonnateur. Mais est-elle prête à revenir sur la répartition des tâches? «La réforme sera évaluée. Et tout dépendra du rapport de force politique au Grand Conseil.» A l’opposé, Alexandre de Senarclens, candidat PLR au Conseil d’Etat, soutient la réforme. «Ce qui m’importe, c’est que les grandes institutions, qui ont un rayonnement régional, soient renforcées, avec une seule tutelle politique, le canton ou la commune.»
Au ras des planches, Denis Maillefer espère que la raison l’emportera. «Bâtir de belles coquilles vides, ce serait absurde», note le codirecteur de la Nouvelle Comédie, dont la dotation publique devrait passer de 6 à 12,5 millions, d’ici à 2020. «L’enjeu de la législature, c’est qu’on élabore une vision enfin commune de la politique culturelle à l’échelle du Grand Genève», appuie le conseiller national socialiste Manuel Tornare. Conclusion provisoire: on a hâte d’applaudir le décor; on prie pour que les acteurs aient de la vista.
Le projet de la Nouvelle Comédie.