En Corse, Emmanuel Macron entend éviter le piège catalan
Le président français doit prononcer ce mercredi un discours très attendu à Bastia. Son hommage au préfet Erignac, tué il y a vingt ans, démontre toutefois que l’heure est à la fermeté
Le 1er octobre dernier, les trois députés nationalistes corses s’étaient déplacés à Barcelone pour le référendum controversé sur l’indépendance de la Catalogne. Un signe clair du lien que les «autonomistes», politiquement majoritaires sur l’Ile de Beauté, font entre le destin de la région sécessionniste espagnole et celui de leur territoire, dont les prérogatives actuelles sont celles d’une «collectivité à statut particulier» qui «s’administre librement, dans les conditions fixées par la loi».
Pas étonnant, dès lors, que la première visite d’Emmanuel Macron sur place depuis son accession à l’Elysée soit considérée comme historique, deux mois après une nouvelle victoire des «natios» aux élections territoriales de décembre: «L’île vit un tournant politique, explique au Temps l’analyste Ghjiseppu Lavezzi. La voie politique suivie par les nationalistes les a menés à assumer le pouvoir régional. Mais ils doivent maintenant démontrer qu’ils peuvent obtenir de Paris que soient enfin écoutées de très anciennes revendications, comme la reconnaissance de la langue corse, ou le transfert sur l’île des ex-auteurs d’attentats qu’ils considèrent comme des prisonniers politiques. Il leur sera difficile, sinon, de contenir la fougue d’une frange de leurs partisans, surtout parmi les jeunes, prêts pour certains à l’action violente…»
L’Acte 1 de cette visite ne pouvait pas être plus régalien. C’est à Ajaccio, dans la rue même où fut tué le préfet Claude Erignac le 6 février 1998, qu’Emmanuel Macron a prononcé son premier discours, aux côtés de la veuve du haut fonctionnaire, dont le chef présumé du commando meurtrier, Yvan Colonna – arrêté en juillet 2003 après quatre années de cavale –, purge actuellement une peine de prison à perpétuité. Ajaccio où les chefs de file nationalistes Gilles Simeoni (patron de l’exécutif) et Jean-Guy Talamoni (président de l’Assemblée territoriale) avaient convié samedi une manifestation très suivie pour faire monter la pression. Résultat? Un premier discours présidentiel ferme pour dénoncer «ceux qui se sont retournés contre la nation […] qui ont pris les armes contre la République et ont perdu, dans cette entreprise, leur honneur et même leur âme». Assortie d’une vague promesse: «La République doit conserver cette ambition de ménager à la Corse un avenir qui soit à la hauteur de ses espérances, sans transiger avec les requêtes qui la ferait sortir du giron républicain.»
C’est toutefois aujourd’hui, à Bastia, que va se jouer le crucial Acte 2. Avec, en arrière-plan, l’enjeu politique national que représente la Corse sur le sort de laquelle les Français sont divisés. Si 4 Français sur 10, selon la moyenne des sondages, soutiennent le principe d’un rapprochement des détenus corses et la co-officialité des langues corse et française, entre 45 et 55% des personnes interrogées continuent de s’opposer à l’inscription de la spécificité de la Corse dans la Constitution. Plus problématique encore: la séquence actuelle ouverte par l’abandon, le 17 janvier, du projet d’aéroport à NotreDame-des-Landes. L’opposition de droite et les élus locaux dénoncent, depuis, cette «reculade» de l’Etat: «La Corse reste l’otage du débat politique national, regrette Ghjiseppu Lavezzi. Dans ce dossier, qui a connu tant de drames, tout porte à croire qu’Emmanuel Macron est tenté par un choix politique qui sera certainement rentable aux yeux de l’opinion publique continentale tant cette dernière est lasse du dossier corse…»
Quelle issue possible alors, de la part de ce jeune président souvent comparé à Napoléon? Et qui, durant sa campagne, avait plaidé pour une République «ouverte et pragmatique […] suffisamment forte pour accueillir des particularités»? Quel scénario privilégier entre le statut actuel et celui d’un territoire d’outre-mer, sujet assuré de rebondir avec le référendum de novembre 2018 sur la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie? «Il faut à tout prix que Macron concède quelque chose aux nationalistes pour démontrer que l’engagement politique et pacifique paie, mais aussi pour les obliger à assumer leurs responsabilités, et à accepter des limites pour éviter le schéma catalan», juge un ancien responsable policier insulaire, inquiet d’une possible reprise des affrontements, sur fond de présence mafieuse importante dans l’économie de l’île. Selon un sondage IFOP réalisé en janvier, 89% des Corses – mais 59% seulement des sympathisants nationalistes – ne souhaitent pas que la Corse devienne indépendante. 14% des sondés seulement estiment toutefois que les nationalistes sont responsables des problèmes de l’île.▅
«La Corse reste l’otage du débat politique national» GHJISEPPU LAVEZZI, ANALYSTE