Le Temps

En Corse, Emmanuel Macron entend éviter le piège catalan

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Le président français doit prononcer ce mercredi un discours très attendu à Bastia. Son hommage au préfet Erignac, tué il y a vingt ans, démontre toutefois que l’heure est à la fermeté

Le 1er octobre dernier, les trois députés nationalis­tes corses s’étaient déplacés à Barcelone pour le référendum controvers­é sur l’indépendan­ce de la Catalogne. Un signe clair du lien que les «autonomist­es», politiquem­ent majoritair­es sur l’Ile de Beauté, font entre le destin de la région sécessionn­iste espagnole et celui de leur territoire, dont les prérogativ­es actuelles sont celles d’une «collectivi­té à statut particulie­r» qui «s’administre librement, dans les conditions fixées par la loi».

Pas étonnant, dès lors, que la première visite d’Emmanuel Macron sur place depuis son accession à l’Elysée soit considérée comme historique, deux mois après une nouvelle victoire des «natios» aux élections territoria­les de décembre: «L’île vit un tournant politique, explique au Temps l’analyste Ghjiseppu Lavezzi. La voie politique suivie par les nationalis­tes les a menés à assumer le pouvoir régional. Mais ils doivent maintenant démontrer qu’ils peuvent obtenir de Paris que soient enfin écoutées de très anciennes revendicat­ions, comme la reconnaiss­ance de la langue corse, ou le transfert sur l’île des ex-auteurs d’attentats qu’ils considèren­t comme des prisonnier­s politiques. Il leur sera difficile, sinon, de contenir la fougue d’une frange de leurs partisans, surtout parmi les jeunes, prêts pour certains à l’action violente…»

L’Acte 1 de cette visite ne pouvait pas être plus régalien. C’est à Ajaccio, dans la rue même où fut tué le préfet Claude Erignac le 6 février 1998, qu’Emmanuel Macron a prononcé son premier discours, aux côtés de la veuve du haut fonctionna­ire, dont le chef présumé du commando meurtrier, Yvan Colonna – arrêté en juillet 2003 après quatre années de cavale –, purge actuelleme­nt une peine de prison à perpétuité. Ajaccio où les chefs de file nationalis­tes Gilles Simeoni (patron de l’exécutif) et Jean-Guy Talamoni (président de l’Assemblée territoria­le) avaient convié samedi une manifestat­ion très suivie pour faire monter la pression. Résultat? Un premier discours présidenti­el ferme pour dénoncer «ceux qui se sont retournés contre la nation […] qui ont pris les armes contre la République et ont perdu, dans cette entreprise, leur honneur et même leur âme». Assortie d’une vague promesse: «La République doit conserver cette ambition de ménager à la Corse un avenir qui soit à la hauteur de ses espérances, sans transiger avec les requêtes qui la ferait sortir du giron républicai­n.»

C’est toutefois aujourd’hui, à Bastia, que va se jouer le crucial Acte 2. Avec, en arrière-plan, l’enjeu politique national que représente la Corse sur le sort de laquelle les Français sont divisés. Si 4 Français sur 10, selon la moyenne des sondages, soutiennen­t le principe d’un rapprochem­ent des détenus corses et la co-officialit­é des langues corse et française, entre 45 et 55% des personnes interrogée­s continuent de s’opposer à l’inscriptio­n de la spécificit­é de la Corse dans la Constituti­on. Plus problémati­que encore: la séquence actuelle ouverte par l’abandon, le 17 janvier, du projet d’aéroport à NotreDame-des-Landes. L’opposition de droite et les élus locaux dénoncent, depuis, cette «reculade» de l’Etat: «La Corse reste l’otage du débat politique national, regrette Ghjiseppu Lavezzi. Dans ce dossier, qui a connu tant de drames, tout porte à croire qu’Emmanuel Macron est tenté par un choix politique qui sera certaineme­nt rentable aux yeux de l’opinion publique continenta­le tant cette dernière est lasse du dossier corse…»

Quelle issue possible alors, de la part de ce jeune président souvent comparé à Napoléon? Et qui, durant sa campagne, avait plaidé pour une République «ouverte et pragmatiqu­e […] suffisamme­nt forte pour accueillir des particular­ités»? Quel scénario privilégie­r entre le statut actuel et celui d’un territoire d’outre-mer, sujet assuré de rebondir avec le référendum de novembre 2018 sur la souveraine­té de la Nouvelle-Calédonie? «Il faut à tout prix que Macron concède quelque chose aux nationalis­tes pour démontrer que l’engagement politique et pacifique paie, mais aussi pour les obliger à assumer leurs responsabi­lités, et à accepter des limites pour éviter le schéma catalan», juge un ancien responsabl­e policier insulaire, inquiet d’une possible reprise des affronteme­nts, sur fond de présence mafieuse importante dans l’économie de l’île. Selon un sondage IFOP réalisé en janvier, 89% des Corses – mais 59% seulement des sympathisa­nts nationalis­tes – ne souhaitent pas que la Corse devienne indépendan­te. 14% des sondés seulement estiment toutefois que les nationalis­tes sont responsabl­es des problèmes de l’île.▅

«La Corse reste l’otage du débat politique national» GHJISEPPU LAVEZZI, ANALYSTE

 ?? (CHRISTOPHE PETIT TESSON/EPA) ?? Emmanuel Macron et Dominique Erignac, la veuve du préfet assassiné il y a 20 ans, à l’inaugurati­on du monument érigé en souvenir du drame.
(CHRISTOPHE PETIT TESSON/EPA) Emmanuel Macron et Dominique Erignac, la veuve du préfet assassiné il y a 20 ans, à l’inaugurati­on du monument érigé en souvenir du drame.

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