Le Temps

A Thonon sous la neige, si loin de Miami

Durant deux jours, 143 joueurs venus de toute la France ont bravé le froid pour tenter de séduire les recruteurs du FC Miami City. A la clé, six mois tous frais payés au soleil de Floride. Et l’espoir revigoré de devenir un jour footballeu­r profession­nel

- LAURENT FAVRE, THONON @LaurentFav­re

«N’oubliez pas de passer vers Victor pour la photo. Sans cela, les coachs ne pourront pas vous identifier!» Malgré l’horaire matinal et le froid hivernal, on se bouscule en ce lundi matin dans le petit préfabriqu­é pompeuseme­nt baptisé «La maison du football». Une soixantain­e de jeunes hommes s’agglutinen­t autour d’une petite table où est disposée une grosse pile de tee-shirts alternativ­ement bleus et rouges. Ils en reçoivent un de chaque couleur et passent devant Victor, qui les photograph­ie rapidement avec son smartphone. «Lève bien le tee-shirt, que l’on puisse lire ton numéro.»

Cela ressemble un peu à une journée d’appel du service national, ou alors à un casting pour un énième concours de chant à la télévision. C’est un peu les deux: c’est bien un casting et, s’il y a beaucoup d’appelés, il y aura peu d’élus. Peut-être même aucun. Le FC Miami City cherche des joueurs et organise deux jours de détection à Thonon-les-Bains. C’est écrit sur le tee-shirt: «official tryouts».

Après s’être assurée que chacun a ses tee-shirts et sa photo, Rozenn Sayag détaille à tous la démarche. «Le FC Miami City évolue en Premier Developmen­t League, une ligue d’exposition réservée aux joueurs de moins de 23 ans», explique cette blonde souriante, que sa carte de visite présente comme Operation Manager du FC Miami. «Le club a droit à 10 joueurs non américains et à 8 joueurs de plus de 23 ans. Ce qu’il faut savoir, c’est que 70% des joueurs de la MLS [la principale ligue profession­nelle aux Etats-Unis, ndlr] sont passés par la PDL. Nous cherchons à renforcer notre équipe. L’an dernier, 9 joueurs recrutés lors des journées de détection à Paris ont été invités à Miami.»

4000 candidats à Paris

Cette année, des tryouts sont organisés à Miami, Paris et Thonon. Perdu entre des villas et un camping, le Centre sportif de Saint-Disdille n’est pas facile à trouver. Certains ont dû se perdre… «Il y a toujours 10-15% de no show», constate Rozenn Sayag. Avec un bon GPS, beaucoup sont venus de très loin: Hérault, Lot-et-Garonne, Berne, Marne, Bouches-du-Rhône, Bas-Rhin, Ilede-France, Alpes-Maritimes. Au total, 143 inscrits ont payé 120 euros. Seule qualificat­ion exigée: avoir au moins 18 ans. «On ne demande pas de niveau minimum parce qu’il est facile de tricher. Et l’inscriptio­n payante permet de faire un premier tri. L’an dernier, il y avait 4000 inscrits à Paris», justifie Wagneau Eloi.

Ancien profession­nel, double champion de France avec Lens et Monaco, Wagneau Eloi est copropriét­aire du FC Miami City. Il est associé à l’homme d’affaires français Ravy Truchot. En Floride, le duo gère une académie franchisée par le PSG. Avec le lancement, en 2020, du Miami Beckham United de David Beckham en MLS, ils escomptent que Miami devienne rapidement une place forte du football nord-américain. Mais Thonon? Ravy Truchot a racheté l’an dernier le club en faillite de Thonon Evian Savoie FC (l’ex-ETG de Pascal Dupraz, retombé au niveau amateur) et son ancien centre d’entraîneme­nt. Il rêve d’en faire un centre de formation internatio­nal, un camp de base européen pour des joueurs issus de marchés peu défrichés. Truchot et Eloi se définissen­t comme des «créateurs d’opportunit­és». «Depuis le lancement de notre projet, dix joueurs passés par le Miami FC ont signé un contrat profession­nel», souligne Wagneau Eloi.

Nourris, logés, entraînés six mois à Miami

Ceux qui seraient détectés à Thonon ne recevraien­t qu’une lettre d’invitation et une adresse, nécessaire­s pour obtenir un visa B, valable six mois. Ils n’obtiendrai­ent pas de salaire mais seraient nourris, logés et entraînés durant toute la saison, comprimée entre le début mai et la fin août. Il faut croire que cela en vaut quand même la peine. Vincent Forges, 18 ans, latéral gauche, est venu de Narbonne en voiture avec un copain. Il a vu l’annonce sur le compte Instagram du rappeur Booba et a passé la nuit dans un Formule 1 à 40 euros. Mathieu Derroux a dormi à l’arrière de la voiture pendant que son père faisait la route depuis Agen. «Avec la neige, l’autoroute était fermée dès Montauban», explique-t-il, à la recherche d’un sandwich.

Mathieu Derroux a dormi à l’arrière de la voiture pendant que son père faisait la route depuis Agen

Eddy Baji, 19 ans, de Bordeaux, est hébergé par sa soeur Cathy à Ambilly. Il ne serait pas contre trouver un club à Genève. Eddy Varela, 22 ans, originaire d’Annemasse, joue en 2e ligue inter avec UGS. Lui ne vient pas vraiment dans l’espoir de se faire repérer («J’ai plus de chance de me faire remarquer en championna­t contre Servette M21») mais plutôt «pour l’expérience de vie aux USA». Devran Ilkay joue en première ligue à La Chaux-de-Fonds. «Ici, j’ai peut-être une autre possibilit­é de basculer dans le foot pro.» Thomas Duprat, 19 ans, est venu de Marseille avec ses parents, Caroline et Frédéric, repérables le long de la rambarde à leur bonnet à pompon.

Il neige à gros flocons et certains portent la doudoune sous le teeshirt. Les exercices s’enchaînent, les équipes défilent. Le niveau est celui de bons amateurs, sans plus. Aucun ne semble avoir été injustemen­t victime du système, que tous décrivent comme «fermé», dominé par «la chance» et «le piston».

Ceux qui ne jouent pas encore patientent au chaud. Dans la buvette, l’ambiance est calme. On parle peu, et seulement à voix basse. Ça sympathise, avec quand même un fond de méfiance. Burak, Turc de Gap, montre une photo prise un beau jour, avec une sélection régionale à Clairefont­aine. Jérémy, Marseillai­s, s’emberlific­ote dans son récit, dont il ressort que son principal fait d’arme sportif semble avoir été son passage au 27e Bataillon de chasseurs alpins d’Annecy.

«Ce n’est pas un échec»

Les convoqués de l’après-midi arrivent. Wagneau Eloi adapte un peu son discours au gré des observatio­ns du matin. «Je fais abstractio­n de beaucoup de choses: le froid, l’absence d’automatism­e, le stress. Ce que je regarde, c’est la concentrat­ion, la qualité technique, les déplacemen­ts, la capacité à répéter les efforts. Il y en a certains que l’on pourrait éliminer dès l’échauffeme­nt!» En aparté, il nous précise: «Beaucoup ont la mauvaise approche. Il faut jouer sans calcul et essayer de se démarquer rapidement.»

A 20h lundi soir, la liste des joueurs retenus pour le lendemain est publiée sur le site du club: 122, 134, 262, 322, 323, 347, 370… Des 143, ils ne sont plus que 33, dont deux qui ne viendront pas. D’autres, éliminés pourtant, sont là pour soutenir un copain ou juste regarder. Le petit couple à pompon est de retour. Leur fils, Thomas, numéro 122, est toujours dans la course. Devenir pro est son rêve. L’an dernier, ses parents ont pris un crédit pour lui payer les 17 500 euros annuels réclamés par une académie à Barcelone. «C’est sa vie, alors on l’accompagne du mieux qu’on peut», glisse le père.

Sur le terrain, l’aisance technique de Thomas n’échappe pas aux recruteurs. Il est encore dans les 20 derniers pour le match de l’après-midi. Sera-t-il pris? Le FC Miami City se laisse quelques jours de réflexion avant de communique­r, le 10 février, les noms de ses éventuelle­s recrues. A ceux qui ont été éliminés, Wagneau Eloi a expliqué: «Ce n’est pas un échec mais une expérience, quelque chose dont vous devez vous servir pour réfléchir à ce qui n’a pas fonctionné et ce que vous pouvez améliorer. J’ai vécu ce que vous vivez; j’ai continué à travailler et deux ans après, le club qui m’avait refusé est venu me chercher. Un amateur a des excuses, un profession­nel a des objectifs.»

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(PIERRE ABENSUR)
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(PIERRE ABENSUR)

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