Des lions là-bas, de la férocité ici
Un adolescent turbulent affronte son tuteur psychorigide dans «Fauves», film inégal hésitant entre drame psychologique et intrigue policière
Oskar (Zacharie Chasseriaud) a bientôt 18 ans et le jour de sa majorité il s’envole pour le Zimbabwe, où il rêve de s’occuper de lions. Orphelin, il a Elvis (Jonathan Zaccaï) pour tuteur, pour prof de gym et bientôt pour directeur de collège. Cet ancien champion de tir à l’arc aime l’ordre, la discipline et le dépassement de soi. Il exige qu’Oskar termine sa formation de mécanicien horloger. Le conflit est inévitable. Inutile d’aller en Afrique pour trouver des fauves: les plus dangereux sont juste à côté.
La première scène, une séance de tir à l’arc, pose bien les enjeux: Oskar, qui traîne la savate, rate lamentablement la cible; pour le motiver, l’instructeur se place devant. Des gars comme Elvis, on en a tous croisé, dans des cours de gym, chez les scouts ou au service militaire. Des rouleurs de mécaniques et forts en gueule dont l’autoritarisme dissimule de gros complexes d’infériorité. Des «sales cons» en langage populaire dont Fauves dessine finement le profil. La grossesse de sa compagne, ses ambitions professionnelles, l’anarchisme juvénile d’Oskar, qui pique du matériel de précision pour financer son escapade africaine, ne font qu’exaspérer les travers de ce pervers narcissique.
Grandes aiguilles
Mais, comme une flèche qui finit par choir, la trajectoire narrative du film perd en hauteur tranchante et décline. Robin Erard, dont c’est le premier long-métrage après un premier court, Elder Jackson, ou les affres d’un missionnaire mormon tombé amoureux, se fourvoie. La flèche que décoche Elvis en pleine réunion de parents d’élèves pour interrompre une engueulade est digne de Hawkeye dans les Avengers, pas d’un enseignant chaux-de-fonnier.
La surenchère dramatique rend l’affaire de moins en moins plausible. Les cadavres commencent à s’accumuler. Par fatalité scénaristique, le film bascule dans le registre criminel. Alors il reste à regretter la tension psychologique originelle.
C’est dommage, car Fauves, tourné à La Chaux-de-Fonds avec quelques délocalisations bénéluxiennes, profite de l’ambiance particulière de la cité horlogère, sa culture industrielle, ses sombres forêts et les grandes aiguilles des horloges pointues comme des flèches. Il ménage quelques moments de grâce, telle l’audition de la jeune Zoé, accordéoniste talentueuse, ou de jolies idées de mise en scène, comme cette scène dans laquelle l’adolescente s’initie aux joies de l’amour physique avec Oskar dans une réserve du musée, sous l’oeil vitreux des fauves empaillés. ■
Des gars comme Elvis, on en a tous croisé. Des rouleurs de mécaniques. Des «sales cons» en langage populaire
Fauves, de Robin Erard (Suisse, Luxembourg, Belgique, 2018), avec Zacharie Chasseriaud, Jonathan Zaccaï, Michel Voïta, Isaline Prévost, Bérénice Baoo, Sabine Timoteo, 1h33.