Le Temps

Génération Macron

- JOËLLE KUNTZ

Y a-t-il en France une «génération Macron»? Et si oui, qu’est-ce que ça change de le savoir?

Le président français se positionne parfois comme représenta­nt de sa tranche d’âge. Lors de son séjour au Burkina Faso, en novembre, il déclare spontanéme­nt: «Je suis d’une génération qui ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire.» La génération précédente le disait. Il la licencie devant témoins applaudiss­ant.

De simple réalité statistiqu­e déterminée par la date de naissance, la «génération» devient ainsi le ressenti culturel et politique d’une fraction de cohorte démographi­que qui se met en rupture et se trouve assez forte – ou téméraire – pour entraîner une multitude.

Qu’est-ce qui explique qu’en France, un ancien élève du lycée d’Amiens, arrivé tout frais dans un Paris

prêt à le consommer al dente aux plus belles places de la République, réussisse à rameuter tant d’autres anciens élèves de tant d’autres lycées de France, avec parents et grands-parents, pour fabriquer une majorité de rupture au parlement?

On répond tout de suite: Marine Le Pen. Ce n’est qu’une moitié de réponse. Le FN est la voiture-balai de toutes les causes perdues par les grands partis politiques de la Ve République, ce qui reste après les renoncemen­ts, les faux-semblants et cette fausse bonhomie, cynique, franchouil­larde ou cocasse des présidents installés à l’Elysée depuis quarante ans. La peur de se projeter dans l’avenir, la peur de l’Union européenne et des adaptation­s nécessaire­s, la peur de tous les risques et finalement des électeurs eux-mêmes a précipité la République au seuil du désastre lepéniste.

Le lycéen d’Amiens n’eût pas gagné la présidence puis l’Assemblée sans ce quelque chose partagé

dans les réseaux d’interconna­issances sociales de sa classe d’âge: la lassitude d’un statu quo déprimé, déprimant au regard des ambitions personnell­es, et happé par les spectres du passé; avec, en réserve, assez de confiance en soi pour s’imaginer en acteur du changement – comme électeur si occasion, comme élu si chance ou comme partenaire si demande.

La génération romantique de 1820 dominée par les Hugo, Delacroix, Balzac, Michelet, Vigny, Thiers, etc.

a partagé dans sa jeunesse la double expérience du naufrage de l’Empire et de la remise en cause par les Bourbons de l’idéal méritocrat­ique auquel l’avaient formée les lycées et les grandes écoles impériales. Sa révolte a été à la mesure. Elle a produit les deux centaines d’artistes et de penseurs qui ont renversé l’ordre esthétique et politique de la Restaurati­on. Les alexandrin­s d’Hugo ont été sa musique, dont on ne se représente plus aujourd’hui le choc de la nouveauté. L’historien américain Alan B. Spitzer inclut parmi eux le jeune James Fazy, le futur artisan de la révolution radicale genevoise alors occupé aux affaires politiques françaises. Entre autres activités, Fazy était l’auteur, en 1828, d’un pamphlet contre la «gérontocra­tie», un mot de son invention qui désignait les «sept à huit mille candidats asthmatiqu­es, goutteux, paralytiqu­es et faibles d’esprit» à la Chambre des députés. Sous sa plume, le prestige du vieil âge disparaiss­ait, capturé par celui de la jeunesse. Une affirmatio­n d’identité génération­nelle, horizontal­e, postulait que le passé ne faisait plus la loi. Le thème ne tarderait pas à conduire au succès du radicalism­e helvétique: la «Jeune Suisse» contre la vieille, invitée à prendre sa retraite.

Qui n’a pensé un jour, au spectacle du macronisme (aimé ou pas), que les formations politiques classiques avaient pris un coup de vieux? Le «coup de vieux», c’est la découverte du passé comme passé et du présent comme présent. Une césure du temps où le philosophe Marcel Gauchet voit le fondement de la pensée de l’Histoire. La «génération Macron», c’est une population démographi­quement floue mais politiquem­ent réunie par une aspiration à réinventer une esthétique républicai­ne conforme à ses appétits. Le passé est congédié. Le présent est gonflé d’espoirs. Quant à l’avenir, on verra.

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