Le Temps

«Le Fric» de Kucholl et Veillon, premières impression­s

- PAR MARIE-PIERRE GENECAND

Dans leur dernière salve live, Vincent Kucholl et Vincent Veillon montrent en riant les failles de l’argent. Un peu lent au démarrage, le spectacle gagne peu à peu en mordant

Le fric, c’est chic? Pas sûr, répondent Vincent Kucholl et Vincent Veillon, qui, dans leur dernier spectacle live, démontrent en riant les effets pervers de l’argent. Après une présentati­on de la Suisse il y a cinq ans, les deux Vincent de 26 minutes remontent sur scène pour une fresque sur Le Fric et ses failles. Un paysan au bord du suicide, une folle des applis qui engrange des millions avec du vent, un Surchat sans le sou qui se fait humilier par son assistant social ou encore un Reto Zenhäusern qui nous engage à consommer pour remplir son compte en banque privé: conseillés par Antoine Jaccoud et mis en scène par Antonio Troilo, les drôles ont le verbe révolution­naire et la satire amère. Mais on rit quand même beaucoup face à leurs frasques, car leurs personnage­s aux mille accents sont toujours aussi tordants.

KUSHTRIM ADO «WESH»

Jeudi, soir de première à l’Octogone de Pully, LE Valaisan n’était pas sur scène, il était dans la salle. Avec ce thème bling-bling, on s’attendait à retrouver l’entreprene­ur Stève Berclaz avec une de ses «combines» préférées. Nenni. Le génial métalleux n’apparaît qu’une seconde dans une vidéo futée où on suit le parcours d’un billet de 100 francs. Arrêté pour excès de vitesse, Berclaz soudoie un pote policier, forcément. Jeudi à Pully, le Valaisan était dans nos rangs: Christian Constantin, himself, président du FC Sion et comique malgré lui, avait fait le déplacemen­t. Il n’était pas la seule tête couronnée de la soirée. Se pressaient les humoristes stars Thomas Wiesel, Yann Lambiel et Yann Marguet (tiens, deux Yann pour deux Vincent). Ainsi que les chefs de la RTS, Pascal Crittin et Philippa de Roten. Pas ou peu de politicien­s. Mieux vaut être prudents!

LE PAYSAN ESSORÉ

Ambiance électrique donc, pour un début… critique. Commencer par une scène où des hommes des cavernes font l’expérience de la propriété privée, c’est un peu la fausse bonne idée. On a vu cent fois ce décrochage où les humains passent de l’état animal qui jouit du moment présent à l’état cérébral qui ne pense qu’à thésaurise­r. La séquence est bien réalisée, avec ce qu’il faut de peaux de bêtes et de perruques poilues-pouilleuse­s, mais elle est trop cliché pour l’emporter. Pareil pour la vidéo qui suit et raconte la genèse de l’argent. L’idée de la pive pour les pives que nous sommes est astucieuse, mais le tout peine à décoller. Du coup, et c’est injuste, quand arrive la scène de la classe avec un Kushtrim ado «wesh» qui veut devenir vétérinair­e et un Julien Bovey, enseignant plus vaudois que jamais, qui referme le couvercle social sur sa tête d’immigré, on rit, mais on ne rit pas autant qu’on devrait. La satire, qui grince à la perfection, mérite mieux que des gloussemen­ts discrets.

Le show a enfin démarré? Pas vraiment. Le reportage vidéo sur la communauté alternativ­e et créative, la CAC, îlot baba cool vivant sans argent, a tout pour faire pouffer, mais là encore, le trait tire à côté. Pareil pour l’Afrique où Klaxon et Müller, musiciens demeurés, pensent trouver un paradis sans fric et finissent poursuivis par une horde de blacks floués. C’est correct, sans être hilarant.

Etrangemen­t, le spectacle débute vraiment avec le sketch le plus sombre de la soirée. Un incroyable monologue de Vincent Veillon transformé en paysan essoré par la loi du marché, qui ne compte plus pour personne et noie son chagrin dans du Goron de piètre qualité. La corde n’est pas loin et le public est sous le choc.

IRÈNE, LA PERLE

Après ce coup de maître, tout prend corps, forme et volupté. Le face-à-face entre Surchat, natif du Jura bernois, formidable­ment paumé et l’assistant social doucereux qui vient limer son budget est un sommet de sadisme consommé. A lui seul, ce sketch brillant sur le pouvoir humiliant de l’argent justifie le spectacle entier. On aime aussi beaucoup le contraste entre le régisseur rasta, plus cool tu meurs, et le frontalier François-Xavier, petit techno teigneux, à l’accent cadencé. Du grand Kucholl. Qui est parfait aussi en Reto Zenhäusern, ce financier zurichois, aussi sympathiqu­e que carnassier.

Mais la perle de la soirée est une femme: Irène Borgognon-McKay, le teint lisse et le brushing parfait. Cette quadra survoltée, Kucholl encore, raconte sa formidable success story, ou comment la crazy

mummy a empoché le pactole avec une applicatio­n surréalist­e qu’on ne dévoilera pas ici. Sur une vidéo, on voit la mampreneur siroter des cocktails dans les palaces du monde entier et jouir de son énoooorme pouvoir financier. Surtout, l’intensité de son délire dématérial­isé ne faiblit pas lorsqu’elle se retrouve en live sur le plateau et qu’elle tente d’initier au tout virtuel un fabricant de boilers empoté. A hurler.

Le Fric est ainsi. Un peu lent au démarrage, mais très mordant après. Et le feu final dit bien que le flouze n’est au fond qu’un bout de papier. A nous de garder cette flamme en tête.

«Le Fric», jusqu’au 18 février, Théâtre de l’Octogone, Pully. Puis grande tournée romande. www.lefric.ch

Le spectacle débute vraiment avec le sketch le plus sombre de la soirée

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(NATHAN HAUSERMANN)

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