Le Temps

Insolubles conflits d’intérêts à La Poste

- BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

L’affaire CarPostal se résume à un double problème de gouvernanc­e et de conflit d’intérêts. Dès la séparation des anciens PTT en deux entités, La Poste et Swisscom, la question de leur gouvernanc­e s’est posée. Toujours en mains de l’Etat, en totalité ou en majorité, elles se sont retrouvées confrontée­s à la concurrenc­e tout en conservant, en tout cas pour La Poste, des secteurs monopolist­iques. Et certaines activités déployées dans les domaines ouverts à la concurrenc­e, comme le transport de voyageurs par car, sont cofinancée­s par les collectivi­tés publiques. Un écheveau que La Poste n’est jamais parvenue à démêler, en raison d’un insoluble conflit d’intérêts.

D’une part, le secteur des transports publics subvention­nés ne peut pas dégager de bénéfices. De l’autre, les unités du groupe Poste ont toutes été invitées à contribuer à la réalisatio­n d’un bénéfice global, préalable nécessaire au versement d’un dividende annuel au propriétai­re, la Confédérat­ion. Le patron de CarPostal a relevé plusieurs fois cette contradict­ion, dont la direction avait conscience. Les documents confidenti­els publiés ces derniers jours montrent qu’elle était mue par le souci constant de tirer parti des excédents réalisés dans le secteur des autobus alors même que l’Office fédéral des transports (OFT) lui avait signifié que ceux-ci ne pouvaient pas exister.

Les dirigeants de La Poste ont négligé le fait que cet argent ne leur appartenai­t pas. Si l’activité de transport est bénéficiai­re, c’est parce que ceux qui l’indemnisen­t, la Confédérat­ion et les 24 cantons qui recourent aux services de CarPostal, ont trop payé. C’est un aspect politique majeur. Cela soulève une question tout aussi majeure: l’équipe placée à la tête de La Poste est-elle consciente de ses obligation­s politiques?

En choisissan­t Susanne Ruoff comme directrice générale, le conseil d’administra­tion a fait appel à une personne capable de réussir le virage numérique du groupe. L’annonce de sa nomination en 2011 ne laissait planer aucun doute à ce sujet: «Avec Susanne Ruoff, c’est une manager disposant d’une vaste expérience dans des entreprise­s internatio­nales qui reprend la direction de La Poste», disait alors le conseil d’administra­tion, qui relevait ses années passées chez IBM et British Telecom Switzerlan­d Ltd. ainsi que «ses connaissan­ces du monde numérique».

En revanche, elle ne connaissai­t rien de ces univers sensibles et identitair­es pour de nombreux Suisses que sont les bureaux de poste ou les bus jaunes qui sillonnent leurs campagnes et leurs vallées. Le mouton à cinq pattes n’existant pas, le conseil d’administra­tion a privilégié le profil numérique de Susanne Ruoff, payée presque deux fois plus que ses prédécesse­urs. Elle était moins armée pour maîtriser les activités physiques et historique­s du groupe. Par manque de sensibilit­é, les dirigeants de La Poste ont ainsi permis les transferts comptables litigieux mis au jour chez CarPostal. La tâche du nouveau président du conseil, Urs Schwaller, issu du monde politique, est d’y remettre de l’ordre.

L’équipe placée à la tête de La Poste estelle consciente de ses obligation­s politiques?

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