Le Temps

Donald Trump, roi de la dette et du déficit

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Avec un Congrès entièremen­t sous contrôle républicai­n – dont les représenta­nts mangent aujourd’hui dans sa main – Donald Trump peut aller de l’avant avec son programme de l’«Amérique d’abord» sans trop d’embûches. En quelques semaines il aura procédé à une baisse historique d’impôt pour les entreprise­s et les plus riches et fait passer un budget qui gonfle les dépenses publiques au profit principale­ment de l’armée.

Reprenons les chiffres: fin décembre, le président américain obtenait un rabais fiscal de 1500 milliards de dollars sur les dix prochaines années. Une première promesse électorale tenue. Ces jours-ci, malgré quelques récalcitra­nts issus des rangs libertarie­ns, les républicai­ns sont sur le point de faire adopter un budget gonflé de 300 milliards de dollars pour les deux prochaines années. A ce rythme, la dette américaine, qui est actuelleme­nt de 20000 milliards de dollars, va exploser. Or cela ne semble plus un problème pour le camp républicai­n.

Souvenez-vous: durant huit ans, ces mêmes républicai­ns ont férocement bataillé contre l’administra­tion de Barack Obama au nom de la responsabi­lité budgétaire et de la maîtrise des déficits. C’était une cause sacrée, notamment portée par le Tea Party. Barack Obama, ayant essuyé un premier «shutdown», avait dû se résoudre à fixer un plafond aux dépenses et renoncer à un plan d’investisse­ment pour reconstrui­re des infrastruc­tures en ruine. Dépenser était mal.

Aujourd’hui, Donald Trump va pouvoir annoncer un vaste programme de relance des infrastruc­tures – y compris son mur pour 3 milliards de dollars – avec les deniers publics. Dépenser est de nouveau bon. Mieux: l’Etat peut plus que jamais dépenser l’argent qu’il n’a pas, il se financera par l’emprunt. Hérésie pour le camp conservate­ur? Les républicai­ns ne sont-ils pas les tenants de la rigueur à l’opposé des démocrates toujours prêts à gonfler les dépenses publiques? On pourrait le croire à entendre Rand Paul, rare républicai­n qui a bataillé contre la dérive du budget au nom du moins d’Etat. On pourrait s’en convaincre en relisant les discours républicai­ns des huit dernières années, lorsque la présidence leur avait

Trump pratique de l’anti-keynésiani­sme: il prônait l’austérité durant la crise et suscite la demande par beau temps, l’inverse des préceptes de l’économiste britanniqu­e

échappé. En réalité, il n’y a là rien de très nouveau: le déficit américain se creuse systématiq­uement sous administra­tion républicai­ne avec cette même recette de baisse fiscale et d’augmentati­on des dépenses militaires, comme le montrent les présidence­s Reagan et Bush junior.

Il y a toutefois une différence entre Donald Trump et Ronald Reagan. Le programme de ce dernier avait une certaine logique économique et militaire: son choc fiscal avait participé de la relance d’une économie qui était en berne et ses dépenses militaires répondaien­t à un défi tangible, celui du communisme. Il en va tout différemme­nt en 2018: l’économie américaine est en pleine croissance, avec un taux de chômage au plus bas, et il n’existe aucune menace directe à la sécurité des Etats-Unis.

Certains commentate­urs économique­s veulent voir en Donald Trump un keynésien déguisé, ou un démocrate défroqué… C’est absurde. Toute dépense n’est pas keynésienn­e. En l’occurrence, Trump pratique de l’anti-keynésiani­sme: il prônait l’austérité durant la crise, et suscite la demande par beau temps, l’inverse des préceptes de l’économiste britanniqu­e.

Comme entreprene­ur, Donald Trump était connu comme le roi de la dette. Comme président, il pourra ajouter le titre de roi du déficit.

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