Le verdict fouillé qui condamne l’ex-gérant de Credit Suisse
JUSTICE «Le crime ne doit pas payer», ont rappelé les juges genevois. La star déchue de la grande banque se voit infliger une peine de 5 ans de prison. Il devra verser 22 millions et réparer ce qui restera du dommage causé à Credit Suisse
Patrice L. avait la mine défaite. Et pour cause. Durant une heure trente, l’ex-star de Credit Suisse a écouté les détails du verdict qui font de lui un escroc en série, un falsificateur de documents et un gestionnaire félon. Reconnu coupable d’avoir causé un dommage de 143 millions de francs mais aussi de s’être enrichi de 30 millions au préjudice notamment de l’ancien premier ministre géorgien Bidzina Ivanishvili, le quinquagénaire a été condamné à une peine privative de liberté de 5 ans. Pour respecter l’adage selon lequel le crime ne doit pas payer, il devra également s’acquitter d’une facture salée.
Il garde une maison
Aux yeux du Tribunal correctionnel, le Français a gravement et longtemps fauté. Il aurait pu s’arrêter à tout moment mais il a continué ses détournements durant huit ans. Il a surtout agi par appât du gain. En 2008 déjà, relève la décision, il s’est versé un montant de 2,5 millions pour acheter une Ferrari et un appartement en Sardaigne. A décharge, les juges soulignent la très bonne collaboration de Patrice L. à l’enquête, sa prise de conscience, ses regrets sincères et son comportement exemplaire en prison. Il est détenu depuis janvier 2016.
L’interdiction d’exercer une activité en lien avec la finance, réclamée par le procureur Yves Bertossa, n’a pas été prononcée. Le tribunal a condamné l’intéressé à payer une créance compensatrice de 22 millions de francs. Ce montant correspond en gros à la valeur de ses avoirs saisis ou désormais confisqués. «Afin de ne pas compromettre sa réinsertion sociale, le logement familial ne sera pas séquestré», souligne le verdict. L’épouse devra également verser 150 000 francs et partie de ses bijoux reste bloquée dans cette perspective.
Patrice L. est aussi condamné à payer quelque 130 millions de francs à Credit Suisse au titre du dommage subi par la banque. Une somme dont seront toutefois déduits tous les montants confisqués ou séquestrés sur les comptes des clients russes ayant profité des transferts indus. Deux de ces hommes d’affaires sont déboutés sur toute la ligne, aucun dommage ne leur est reconnu et ils devront verser respectivement 14 et 28 millions de francs. Pour la cliente moscovite, active dans les boissons gazeuses, «l’assiette du séquestre» a été revue à la baisse. Seul l’oligarque Vitaly Malkin bénéficie d’une levée totale des saisies sur les comptes de sa société Top Matrix.
Avant d’entendre sa peine, Patrice L. a encore été dépeint comme un expert de l’astuce. Selon les juges, les procédés employés par le gestionnaire — montage de signature par collage ou fausses instructions — rendaient la fraude difficile, voire impossible, à détecter, même avec des vérifications. De plus, «il a su profiter de son statut au sein de Credit Suisse, où il était considéré comme une star, pour parvenir à ses fins.»
Le tribunal a tout de même fait un grand ménage dans l’acte d’accusation en acquittant l’intéressé sur neuf points et en classant un dixième cas pour cause de prescription. La peine de 5 ans, requise par le parquet, a été maintenue malgré tout. Signe que le tribunal aurait pu se montrer plus sévère encore si tous les reproches avaient été retenus.
C’est le volet de la gestion déloyale qui a été le plus retouché. Les juges n’ont pas estimé que Patrice L. avait violé ses devoirs de fidélité envers la banque en touchant des commissions occultes et notamment un versement direct de la part de Bidzina Ivanishvili. Il a également été acquitté du reproche d’avoir trop massivement investi dans l’action Raptor sans l’autorisation de son richissime client géorgien. Dans d’autres cas, le dommage n’est pas prouvé.
Credit Suisse devra partager
S’agissant des escroqueries, tous les montants sont alloués à Credit Suisse car l’argent déposé était devenu propriété de la banque. A charge pour elle de rembourser ensuite les lésés. Bidzina Ivanishvili n’ayant rien réclamé à ce stade, le tribunal a aussi décidé de céder à Credit Suisse les fonds en relation avec une gestion déloyale dont l’établissement n’a pourtant pas été victime. Et cela afin de dédommager l’oligarque géorgien et de ne pas enrichir l’Etat de Genève.
Sous le coup de cette avalanche de détails, les parties réfléchissent encore à l’opportunité d’un appel. Patrice L. peut quant à lui espérer une semi-liberté cet été.