Il faut mieux savoir ce qui se passe
L’économie est aujourd’hui un peu comme un Airbus 380 que des pilotes contrôleraient à l’aide d’un sextant et d’une boussole. Nos instruments de mesure sont obsolètes et inadéquats pour savoir ce qui se passe vraiment.
Le produit intérieur brut (PIB), développé dans les années 1930, est l’objet de toutes les critiques: trop concentré sur l’économie matérielle, pas de différence entre les ressources renouvelables et non renouvelables et surtout trop long à être calculé. Idem pour l’index des prix à la consommation: incomplet, trop différent d’un pays à l’autre et insensible à l’évolution du pouvoir d’achat.
Que faire? Les technologies modernes ont une partie de la réponse. La société SpaceKnow utilise les satellites et l’analyse géospatiale pour calculer plus exactement le déplacement des cargos, celui des camions, des avions, les activités de construction, l’impact sur l’environnement, et même l’activité manufacturière en Chine. Depuis l’espace on peut tout voir et presque tout savoir.
La géolocalisation alliée au trafic de paiement, par exemple les cartes de crédit, permet de savoir en temps réel qui a acheté quoi, à quel prix et dans quel magasin: un formidable indice de la consommation des ménages. Une autre entreprise, PriceStats utilise d’ailleurs les données de vente en ligne des entreprises pour fournir des statistiques sur l’inflation de 22 pays, actualisées chaque jour… Son site affilié, Inflacion-Verdadera, calcule l’inflation journalière de l’Argentine avec un délai d’une semaine à peine.
La technologie permet aussi d’être plus pointu, notamment dans le médical. Apple compte 1,3 milliard d’appareils actifs dans le monde, téléphones, tablettes et montres connectés. En utilisant cet accès immédiat aux données personnelles, Sage Bionetworks a développé, entre autres, une application qui permet d’identifier les patients à risque pour la maladie de Parkinson. DeepMind, qui appartient à Google, vient de signer un accord avec le Service de National de Santé britannique (NHS) pour mieux gérer les données des patients et traiter l’imagerie médicale pour les mammographies et les risques de glaucomes.
Les conditions technologiques sont réunies pour avoir une idée plus précise et en temps réel de l’activité économique. Par contre la mise en oeuvre se heurte à deux obstacles. Le premier est lié à la protection des données personnelles. Toutes les informations réunies le sont avec l’accord plus ou moins tacite de chacun d’entre nous. Qui est propriétaire de ces données, ou sont-elles stockées, comment sont-elles protégées et comment peuvent-elles être utilisées? Pour y répondre, l’Union européenne implémentera le 25 mai prochain son Règlement général sur la protection des données.
Le deuxième obstacle, tout aussi fondamental, relève de l’accès à ces données. Les entreprises qui développent ces ressources font partie du secteur privé et le font en parallèle des statistiques officielles qui, elles, relèvent du secteur public. L’avantage du secteur privé est de protéger contre les manipulations d’Etats, par exemple le PIB en Chine, la dette en Grèce ou l’inflation en Argentine. Il est aussi plus rapide. Rappelons qu’en Suisse l’estimation du PIB pour le quatrième trimestre 2017 ne sera publiée par le SECO que le 1er mars 2018! On n’est jamais trop prudent.
Par contre, les gouvernements risquent d’être coupés de l’accès aux informations fondamentales sur l’économie. Comment gérer un Etat si les données statistiques les plus récentes ne sont plus accessibles ou le sont à un prix exorbitant? Comment faire face à une crise si le secteur privé a toutes les informations à l’avance et plus précisément que le gouvernement? Et que faire des administrations statistiques actuelles?
Sans réponse rapide à ces questions, par exemple par des partenariats publics-privés, nos gouvernements devront bientôt piloter l’économie sans visibilité et sans instrument. Un peu risqué…
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