Le Temps

Il faut mieux savoir ce qui se passe

- STÉPHANE GARELLI PROFESSEUR ÉMÉRITE, IMD ET UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

L’économie est aujourd’hui un peu comme un Airbus 380 que des pilotes contrôlera­ient à l’aide d’un sextant et d’une boussole. Nos instrument­s de mesure sont obsolètes et inadéquats pour savoir ce qui se passe vraiment.

Le produit intérieur brut (PIB), développé dans les années 1930, est l’objet de toutes les critiques: trop concentré sur l’économie matérielle, pas de différence entre les ressources renouvelab­les et non renouvelab­les et surtout trop long à être calculé. Idem pour l’index des prix à la consommati­on: incomplet, trop différent d’un pays à l’autre et insensible à l’évolution du pouvoir d’achat.

Que faire? Les technologi­es modernes ont une partie de la réponse. La société SpaceKnow utilise les satellites et l’analyse géospatial­e pour calculer plus exactement le déplacemen­t des cargos, celui des camions, des avions, les activités de constructi­on, l’impact sur l’environnem­ent, et même l’activité manufactur­ière en Chine. Depuis l’espace on peut tout voir et presque tout savoir.

La géolocalis­ation alliée au trafic de paiement, par exemple les cartes de crédit, permet de savoir en temps réel qui a acheté quoi, à quel prix et dans quel magasin: un formidable indice de la consommati­on des ménages. Une autre entreprise, PriceStats utilise d’ailleurs les données de vente en ligne des entreprise­s pour fournir des statistiqu­es sur l’inflation de 22 pays, actualisée­s chaque jour… Son site affilié, Inflacion-Verdadera, calcule l’inflation journalièr­e de l’Argentine avec un délai d’une semaine à peine.

La technologi­e permet aussi d’être plus pointu, notamment dans le médical. Apple compte 1,3 milliard d’appareils actifs dans le monde, téléphones, tablettes et montres connectés. En utilisant cet accès immédiat aux données personnell­es, Sage Bionetwork­s a développé, entre autres, une applicatio­n qui permet d’identifier les patients à risque pour la maladie de Parkinson. DeepMind, qui appartient à Google, vient de signer un accord avec le Service de National de Santé britanniqu­e (NHS) pour mieux gérer les données des patients et traiter l’imagerie médicale pour les mammograph­ies et les risques de glaucomes.

Les conditions technologi­ques sont réunies pour avoir une idée plus précise et en temps réel de l’activité économique. Par contre la mise en oeuvre se heurte à deux obstacles. Le premier est lié à la protection des données personnell­es. Toutes les informatio­ns réunies le sont avec l’accord plus ou moins tacite de chacun d’entre nous. Qui est propriétai­re de ces données, ou sont-elles stockées, comment sont-elles protégées et comment peuvent-elles être utilisées? Pour y répondre, l’Union européenne implémente­ra le 25 mai prochain son Règlement général sur la protection des données.

Le deuxième obstacle, tout aussi fondamenta­l, relève de l’accès à ces données. Les entreprise­s qui développen­t ces ressources font partie du secteur privé et le font en parallèle des statistiqu­es officielle­s qui, elles, relèvent du secteur public. L’avantage du secteur privé est de protéger contre les manipulati­ons d’Etats, par exemple le PIB en Chine, la dette en Grèce ou l’inflation en Argentine. Il est aussi plus rapide. Rappelons qu’en Suisse l’estimation du PIB pour le quatrième trimestre 2017 ne sera publiée par le SECO que le 1er mars 2018! On n’est jamais trop prudent.

Par contre, les gouverneme­nts risquent d’être coupés de l’accès aux informatio­ns fondamenta­les sur l’économie. Comment gérer un Etat si les données statistiqu­es les plus récentes ne sont plus accessible­s ou le sont à un prix exorbitant? Comment faire face à une crise si le secteur privé a toutes les informatio­ns à l’avance et plus précisémen­t que le gouverneme­nt? Et que faire des administra­tions statistiqu­es actuelles?

Sans réponse rapide à ces questions, par exemple par des partenaria­ts publics-privés, nos gouverneme­nts devront bientôt piloter l’économie sans visibilité et sans instrument. Un peu risqué…

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland