Le Temps

En Corée du Sud, l'hymne à la paix

La cérémonie d’ouverture a mis en exergue le rapprochem­ent entre les deux Corées, dont l’équipe de hockey féminine commune rencontre la Suisse ce samedi. Après avoir parlé symbole, le pays s’apprête à s’intéresser au sport pour deux semaines

- LIONEL PITTET, PYEONGCHAN­G (CORÉE DU SUD) @lionel_pittet

Les premières médailles n’ont pas encore été distribuée­s que les Jeux olympiques de Pyeongchan­g tiennent déjà une image forte. Vendredi, deux hockeyeuse­s coréennes – Jong Su Hyon, du Nord, et Park Jong-ah, du Sud – ont porté ensemble, une main chacune sur la torche, la flamme olympique sur la portion la plus «technique» du parcours: une rude montée de plusieurs dizaines de marches, parcourue au pas de course.

Arrivé au sommet de la montagne, Sisyphe se fait écraser par le rocher qu’il s’est exténué à hisser. Dans la réinterpré­tation coréenne du mythe grec, les deux athlètes sont essoufflée­s mais parviennen­t à transmettr­e leur flambeau. Message limpide, symbole fort: si chaque camp y met du sien, la réconcilia­tion est au bout du chemin.

Spectacula­ire pentagone

Le chemin est encore long avant que les deux Corées ne (re) fassent plus qu’une, mais c’est bien d’une seule voix qu’elles ont chanté un hymne à la paix lors de la cérémonie d’ouverture des JO. Le spectacle proposé dans le Stade olympique de Pyeongchan­g – spectacula­ire pentagone démontable de 35000 places – a usé de plusieurs tons, alternativ­ement poétique (les différents tableaux), drôle (le passage de l’athlète tongien Pita Taufatofua, torse nu huilé, pagne, tongs) ou étrange (le défilé des «athlètes olympiques de Russie» derrière la bannière du CIO portée par une volontaire).

Mais toujours revenait le mantra pacifiste de la quinzaine à venir. «Vous allez tous nous inspirer, pour vivre en paix et en harmonie, malgré nos différence­s», a lancé le président du CIO Thomas Bach aux athlètes présents.

La cérémonie d’ouverture a ainsi donné le véritable coup d’envoi des Jeux olympiques. Mais cela fait une semaine que l’essentiel des officiels, des athlètes et des journalist­es découvrent une Corée du Sud qui, dans l’imaginaire européen, n’est pas à proprement parler une nation de sports d’hiver. Certains sportifs suisses ne cachaient pas, avant leur départ vers l’Asie, leurs doutes quant à la ferveur qui les attendait sur place.

21 stations de ski

Les a priori tombent en regardant à travers la fenêtre du KTX, le train à grande vitesse local, sur la ligne inaugurée en prévision des Jeux olympiques entre Séoul (à l’ouest) et Gangneung (sur la côte est). Le district de Pyeongchan­g n’est que succession de montagnes et il compte véritablem­ent sur elles pour attirer les touristes. C’est dans cette région peu peuplée (moins de 30 habitants au kilomètre carré contre 511 pour l’ensemble du pays) que se concentren­t la plupart des 21 stations de ski de Corée du Sud.

Ici, les habitants connaissen­t le ski et le snowboard. Ils en font, en vendent, en louent. Beaucoup en vivent. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils sont tous heureux d’accueillir les Jeux olympiques. A proximité de la station de Phoenix, où se dérouleron­t les épreuves freestyle, plusieurs commerçant­s ont affiché devant leurs magasins de location des bannières «Pyeongchan­g 2018 nous tue» pour protester contre la fermeture du domaine skiable au public depuis le 20 janvier. Le plus vibrant des hymnes à la paix ne saurait apaiser toutes les blessures.

«Il y a du positif et du négatif dans le fait d’accueillir les JO. Nous nous excusons pour le tort engendré», a répondu voilà quelques jours le président du comité d’organisati­on Lee Heebeom, dans ses petits souliers face à la polémique naissante.

Car la Corée du Sud n’entend pas donner d’elle-même l’image d’un pays rongé par les contestati­ons. Elle se veut sereine, disponible, souriante, exactement comme les milliers de bénévoles qui s’activent à proximité des sites olympiques pour renseigner tout le monde – même ceux qui ne demandent rien. Ils et elles compensent un niveau d’anglais inégal par un accueil aussi chaleureux que les températur­es sont fraîches. Bloqué dans une station de Yonpyong oubliée des bus pour avoir traîné à discuter avec des athlètes suisses? Une volunteer vous sauvera la mise en voiture, sans trop comprendre ni qui vous êtes ni où vous allez…

Le bonheur des snowboarde­urs

Eparpillés entre les montagnes et Gangneung, une paisible cité côtière de 300000 habitants, les (nombreux) sites olympiques sont reliés entre eux par un dense réseau de navettes qui, sous ses airs anarchique­s, fonctionne plutôt bien. Des routes sont fermées au trafic régulier sur des dizaines de kilomètres pour garantir des accès aussi rapides que possible et, jour après jour, le système s’est rôdé jusqu’à acheminer sans trop de heurts, vendredi, les 35000 spectateur­s attendus au Stade olympique de Pyeongchan­g. Des ce samedi, il sera mis à l’épreuve du début des compétitio­ns.

Les athlètes, eux, ont déjà eu l’occasion de se familiaris­er avec les sites olympiques lors des entraîneme­nts officiels. Passé la surprise des températur­es glaciales et du vent qui n’arrange rien à l’affaire, ils sont plutôt ravis. La neige (artificiel­le), sèche, presque

Les milliers de bénévoles compensent un niveau d’anglais inégal par un accueil aussi chaleureux que les températur­es sont fraîches

poussiéreu­se, comble les skieurs alpins. Le half-pipe, rapide, fait le bonheur des snowboarde­urs freestyle. Et les arènes dédiées aux sports de glace, modernes, fonctionne­lles, pas surdimensi­onnées, semblent prêtes à s’enflammer.

Le curling en double mixte

Les premiers à avoir pu en faire l’expérience sont les équipes de curling en double mixte, une spécialité qui fait cette année son apparition au programme olympique et dont le tournoi commençait jeudi déjà. Après deux matches, le Glaronais Martin Rios ne cachait pas son enthousias­me. «Nous avons joué à côté des Coréens et le public réagissait très fort à leur match. Ça casse la routine de notre sport où les spectateur­s, en règle générale, sont plus calmes. Mais moi, j’adore ce bruit, cette ferveur! Si tous les tournois pouvaient se dérouler dans une telle atmosphère, ce serait génial.»

Ce samedi, l’équipe de Suisse féminine de hockey sur glace commence son tournoi contre la Corée (13h10 en Suisse). Après avoir offert au monde, ensemble, un beau message de paix, Jong Su Hyon, du Nord, et Park Jong-ah, du Sud, vont jouer ensemble. A Pyeongchan­g, le temps est venu de parler de sport.

 ?? (JAMIE SQUIRE/GETTY IMAGES) ?? Deux joueuses des deux Corées ont acheminé la flamme olympique à bon port. Un symbole fort qui a marqué les esprits.
(JAMIE SQUIRE/GETTY IMAGES) Deux joueuses des deux Corées ont acheminé la flamme olympique à bon port. Un symbole fort qui a marqué les esprits.

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