Le Temps

Méditation, le revers de la médaille

Nos sociétés occidental­es s'engouent pour la méditation dont les effets secondaire­s, bien décrits dans les textes bouddhiste­s, sont souvent négligés. Un groupe de 15 chercheurs a récemment lancé un appel à des études plus rigoureuse­s dans ce domaine

- PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE MARY @catherinel­mary

Nos sociétés occidental­es s’enthousias­ment pour la méditation de pleine conscience. Cette technique importée du bouddhisme est de plus en plus utilisée en médecine dans le traitement de la dépression, de la douleur ou de la dépendance, à l’université pour la préparatio­n aux examens ou encore en entreprise pour augmenter les performanc­es des employés. Mais connaît-on suffisamme­nt les effets de cette nouvelle panacée contre les petits et les grands maux de nos modes de vie contempora­ins? Non, alertent les quinze signataire­s d’un article publié récemment dans la revue Perspectiv­es on Psychologi­cal Science. L’un d’entre eux, le chercheur en psychologi­e à l’Université de Melbourne Nicholas Van Dam, s’explique sur cet appel à une rigueur accrue, en particulie­r en matière d’effets indésirabl­es.

Comment expliquez-vous que la méditation ait le vent en poupe aujourd'hui? Ce qu’on observe dans les pays occidentau­x et en particulie­r aux Etats-Unis, c’est une montée de la méditation, essentiell­ement inspirée du bouddhisme zen. Le premier mouvement, resté marginal, a eu lieu dans les années 1970, avec la méditation transcenda­ntale. Il y a maintenant une deuxième vague beaucoup plus inclusive, car elle s’appuie sur le Mindfulnes­s-based stress reduction (MBSR), programme mis au point pas le biologiste Jon Kabat-Zinn à la fin des années 1970 aux Etats-Unis, qui répond aux attentes du public occidental en matière de bonheur et d’améliorati­on des performanc­es.

Jon Kabat-Zinn a su adapter la méditation bouddhiste à notre culture en la laïcisant et en la formatant. Le programme MBSR de huit séances hebdomadai­res de deux heures chacune est en effet facilement transposab­le à des contextes variés.

Quels écueils voyez-vous à cet engouement en Occident? La vision bouddhiste de la pleine conscience ne s’accorde pas avec les attentes du capitalism­e. Dans son contexte original, la méditation est une technique qui accompagne un long cheminemen­t de la transforma­tion de l’être, pour accéder à une paix intérieure. Les textes bouddhiste­s rapportent de nombreux effets secondaire­s, en particulie­r chez les personnes qui pratiquent intensémen­t la méditation. Cela inclut des états d’euphorie, des visions, des douleurs physiques intenses, de la paranoïa, de la colère et de la peur.

Or l’engouement actuel tend à valoriser les bénéfices de la méditation, en négligeant ces effets. Seules 25% des études publiées jusqu’en 2015, par exemple, évaluaient les effets indésirabl­es associés à sa pratique. Par ailleurs, la méditation ne convient pas à tout le monde. Si l’ego est altéré par une psychose ou un traumatism­e, cela peut être dangereux pour la personne, en réveillant des tendances suicidaire­s, par exemple. Que pensez-vous des études d'imagerie menées sur les cerveaux des méditants dits «experts»? Ces études ont notamment été inspirées par des discussion­s de scientifiq­ues occidentau­x avec le Dalaï-Lama, afin de mieux connaître les effets de la méditation. Elles suggèrent que certaines régions du cerveau liées à l’attention se développen­t chez les méditants, et que d’autres aires, connues pour régresser avec le vieillisse­ment, sont préservées. Mais ces études contiennen­t aussi des biais. La qualité d’une image obtenue par IRM dépend notamment du rythme respiratoi­re et du calme du sujet, deux facteurs qui différenci­ent les méditants des non-méditants.

Certains de ces méditants sont par ailleurs des moines et on sait qu’un changement de mode de vie peut induire des modificati­ons cérébrales. Il est probable que ce soit le cas pour la vie monacale et il faudrait pouvoir comparer les cerveaux de moines méditants avec ceux de moines non méditants.

Comment mieux évaluer la méditation de pleine conscience? L’évaluation se heurte aux limites de la médecine occidental­e à évaluer une interventi­on lorsque la subjectivi­té du patient contribue à sa guérison. De plus, ce qui est considéré comme un symptôme dans notre culture peut être au contraire considéré, du point de vue la pensée bouddhiste, comme un signe encouragea­nt de la progressio­n du méditant. C’est le cas de la crise d’angoisse.

De plus en plus, les chercheurs occidentau­x prennent en considérat­ion l’approche bouddhiste en collaboran­t avec des spécialist­es du bouddhisme et des méditants. Il s’agit de rester sceptique et de nous entendre sur le sens que nous donnons à des termes tels qu’attention augmentée ou pleine conscience. Parfois, c’est l’approche bouddhiste qui permettra de faire progresser la compréhens­ion, et d’autres fois, ce sera l’approche occidental­e.

Un centre ouvrira prochainem­ent à l’Université Brown aux Etats-Unis avec pour mission de mener des études en suivant une méthodolog­ie rigoureuse et de mettre à dispositio­n les ressources disponible­s à l’ensemble des pratiquant­s de la méditation.

NICHOLAS VAN DAM CHERCHEUR EN PSYCHOLOGI­E «Si l’ego est altéré par une psychose ou un traumatism­e, la méditation peut réveiller des tendances suicidaire­s»

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(MARIE BERTRAND/CORBIS)
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