Pierre Henry, sa mémoire qui flanche
C’est souvent lorsqu’on s’y attend le moins qu’on fait des découvertes marquantes. Ce soir-là, on devait être en 1997, un DJ plutôt orienté rock balançait sans prévenir, pour faire monter encore la température de la Dolce Vita – haut lieu des nuits alternatives lausannoises –, un extatique instrumental, mélange de pop psychédélique et d’électro percussive. Le lendemain, je me rendais sans plus attendre dans le magasin de disques qu’il dirige aujourd’hui encore. J’apprenais alors l’existence de Pierre Henry, dont je me procurais illico ce Psyché
Rock remixé par Fatboy Slim.
Ce titre faisait partie d’un hommage rendu à celui qui est considéré comme le père des musiques concrète et électroacoustique par la crème des artistes électros du moment – Fatboy Slim, donc, mais aussi William Orbit, St Germain, Dimitri from Paris ou Coldcut. Psyché Rock, cosigné avec Michel Colombier pour la Messe pour le temps présent, suite commandée par Maurice Béjart pour son ballet éponyme, est «le» tube de Pierre Henry. Car pour le reste, comme je l’apprendrai ensuite, sa musique est expérimentale, exigeante, radicale.
Dès les années 1950, le Parisien a commencé à se bâtir une oeuvre monstre faite d’agencements de sons divers. Impossible de résumer en quelques lignes les différentes techniques d’enregistrement que cet architecte sonore a développées, et qui auront inspiré de nombreux musiciens. En juillet dernier, Pierre Henry disparaissait à l’âge de 89 ans. Sept mois après les hommages de circonstance, on apprenait il y a deux semaines que sa maison allait être détruite.
La nouvelle serait anecdotique si la bâtisse, située dans le XIIe arrondissement, n’était pas au coeur du travail du compositeur. Elle abrite son studio, son matériel d’enregistrement, ses bandes et mille autres trésors. C’est là qu’il recevait et que parfois il donnait des concerts. «Partout des magnétos, des câblages, des engins bricolés pour produire des sons inédits, et des rayonnages de documentation qui occupent le moindre espace libre», a-t-on pu lire dans Le Monde.
Il est désolant qu’un endroit comme celui-ci ne soit pas préservé. Sa disparition participe d’une inquiétante perte de mémoire collective. Après nous, le déluge. Or quiconque a un jour visité un lieu habité par un artiste – romancier, musicien ou plasticien – sait l’émotion qu’on peut éprouver en étant là où l’histoire s’est écrite. J’ai même réussi à trembler en pénétrant au 221B Baker Street, appartement londonien d’un certain Sherlock Holmes…