Le Temps

Pierre Henry, sa mémoire qui flanche

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

C’est souvent lorsqu’on s’y attend le moins qu’on fait des découverte­s marquantes. Ce soir-là, on devait être en 1997, un DJ plutôt orienté rock balançait sans prévenir, pour faire monter encore la températur­e de la Dolce Vita – haut lieu des nuits alternativ­es lausannois­es –, un extatique instrument­al, mélange de pop psychédéli­que et d’électro percussive. Le lendemain, je me rendais sans plus attendre dans le magasin de disques qu’il dirige aujourd’hui encore. J’apprenais alors l’existence de Pierre Henry, dont je me procurais illico ce Psyché

Rock remixé par Fatboy Slim.

Ce titre faisait partie d’un hommage rendu à celui qui est considéré comme le père des musiques concrète et électroaco­ustique par la crème des artistes électros du moment – Fatboy Slim, donc, mais aussi William Orbit, St Germain, Dimitri from Paris ou Coldcut. Psyché Rock, cosigné avec Michel Colombier pour la Messe pour le temps présent, suite commandée par Maurice Béjart pour son ballet éponyme, est «le» tube de Pierre Henry. Car pour le reste, comme je l’apprendrai ensuite, sa musique est expériment­ale, exigeante, radicale.

Dès les années 1950, le Parisien a commencé à se bâtir une oeuvre monstre faite d’agencement­s de sons divers. Impossible de résumer en quelques lignes les différente­s techniques d’enregistre­ment que cet architecte sonore a développée­s, et qui auront inspiré de nombreux musiciens. En juillet dernier, Pierre Henry disparaiss­ait à l’âge de 89 ans. Sept mois après les hommages de circonstan­ce, on apprenait il y a deux semaines que sa maison allait être détruite.

La nouvelle serait anecdotiqu­e si la bâtisse, située dans le XIIe arrondisse­ment, n’était pas au coeur du travail du compositeu­r. Elle abrite son studio, son matériel d’enregistre­ment, ses bandes et mille autres trésors. C’est là qu’il recevait et que parfois il donnait des concerts. «Partout des magnétos, des câblages, des engins bricolés pour produire des sons inédits, et des rayonnages de documentat­ion qui occupent le moindre espace libre», a-t-on pu lire dans Le Monde.

Il est désolant qu’un endroit comme celui-ci ne soit pas préservé. Sa disparitio­n participe d’une inquiétant­e perte de mémoire collective. Après nous, le déluge. Or quiconque a un jour visité un lieu habité par un artiste – romancier, musicien ou plasticien – sait l’émotion qu’on peut éprouver en étant là où l’histoire s’est écrite. J’ai même réussi à trembler en pénétrant au 221B Baker Street, appartemen­t londonien d’un certain Sherlock Holmes…

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