Au coeur de l’expérimentation
L’oeuvre de Georg Baselitz, 80 ans, est considérable et polymorphe. Autant dire que s’engager dans un travail rétrospectif n’a rien d’évident. Martin Schwander, commissaire, explique avoir voulu capturer pour cette exposition chronologique «l’essence» du travail de l’artiste. Ce qui peut apparaître à première vue comme un artifice rhétorique se traduit cependant littéralement dans les espaces de la Fondation Beyeler, où l’on trouve les oeuvres clés de l’artiste et une articulation très claire des diverses expérimentations picturales qu’il a menées, période après période.
Les premiers tableaux, datés de la première moitié des années 1960, sont «lugubres, peints en pleine pâte». Il s’agit d’«images d’horreur et d’effroi où règnent le grotesque et le laid», détaille Martin Schwander. La dimension outrée de La Grande Nuit foutue, qui fit scandale lors de son exposition à la galerie Werner & Katz de Berlin en 1963, les Héros, ou les vues de membres coupés de la série des Pieds pandémoniques (1960-1963) s’inscrivent dans cette logique.
ENTRE FIGURATION ET ABSTRACTION
Suit une période d’expérimentation où Baselitz divise la toile en bandes, et commence à retourner les peintures, à partir de 1969. Ce geste, qui continue d’intriguer, n’a pour but que de tester les limites entre la figuration et l’abstraction. «Mon souci, explique-t-il dans l’entretien publié dans le catalogue, c’était de ne pas faire de tableaux anecdotiques, descriptifs. D’un autre côté, j’avais toujours eu en horreur l’arbitraire nébuleux de la théorie de la peinture non figurative. Le renversement du motif dans le tableau me donnait la liberté de me confronter à des problèmes picturaux.»
Arrive alors une période proprement expressionniste, à la fin des années 1970, qui coïncide avec l’extension de sa pratique à la sculpture. Lui succède la période des remix, et les tableaux récents, à la facture plus liquide, dont une série, qui occupe la dernière salle, réalisée spécifiquement pour l’exposition.
L’ensemble permet ainsi de dénouer le malentendu qui s’est cristallisé autour de Baselitz, au début des années 1980, au moment du retour triomphal d’une peinture figurative et expressionniste dont il n’a jamais voulu accepter la paternité: «Je n’y voyais aucune qualité véritable. C’était une voie académique qui est un ratage total. Ces peintres faisaient un saut en arrière dans l’histoire de l’art en voulant reproduire plus vite, en plus grand et de façon actuelle ce qui s’était perdu en Allemagne en 1933.»
SCULPTURES HUMORISTIQUES
Si son travail a toujours été expressif, il ne peut en aucun cas être assimilé à un retour quelconque de l’expressionnisme. On n’a donc probablement pas besoin, pour parler du travail de Baselitz, de dégainer l’habituelle rafale de qualificatifs qu’on lui accole depuis toujours: torturé, intense, sauvage, génial, irrévérencieux, existentiel, radical. Le mieux est encore de regarder ce qui lui importe, et ce à quoi il consacre son énergie depuis les années 1960, à savoir la peinture, pour comprendre ses apports à l’histoire bien spécifique du brouillage des limites entre l’abstraction et la figuration.
L’exposition présente par ailleurs des sculptures en bois de grand format, dont la dimension humoristique plus appuyée vient tempérer l’image de gravité qui suit Baselitz depuis toujours. Et au Kunstmuseum, un ensemble d’une centaine de dessins permet simultanément de se plonger dans soixante années de production graphique. On y retrouve les mêmes motifs iconographiques (corps masculins et féminins, héros, paysages…) et des évolutions stylistiques similaires à ce qui s’est joué dans sa peinture. Il ne manque, en somme, qu’une exposition des gravures de l’artiste pour faire un tour complet de son oeuvre.
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