Le Temps

Au coeur de l’expériment­ation

- «Georg Baselitz», Fondation Beyeler et Kunstmuseu­m de Bâle. Jusqu’au 29 avril. www.fondationb­eyeler.ch et www.kunstmuseu­mbasel.ch

L’oeuvre de Georg Baselitz, 80 ans, est considérab­le et polymorphe. Autant dire que s’engager dans un travail rétrospect­if n’a rien d’évident. Martin Schwander, commissair­e, explique avoir voulu capturer pour cette exposition chronologi­que «l’essence» du travail de l’artiste. Ce qui peut apparaître à première vue comme un artifice rhétorique se traduit cependant littéralem­ent dans les espaces de la Fondation Beyeler, où l’on trouve les oeuvres clés de l’artiste et une articulati­on très claire des diverses expériment­ations picturales qu’il a menées, période après période.

Les premiers tableaux, datés de la première moitié des années 1960, sont «lugubres, peints en pleine pâte». Il s’agit d’«images d’horreur et d’effroi où règnent le grotesque et le laid», détaille Martin Schwander. La dimension outrée de La Grande Nuit foutue, qui fit scandale lors de son exposition à la galerie Werner & Katz de Berlin en 1963, les Héros, ou les vues de membres coupés de la série des Pieds pandémoniq­ues (1960-1963) s’inscrivent dans cette logique.

ENTRE FIGURATION ET ABSTRACTIO­N

Suit une période d’expériment­ation où Baselitz divise la toile en bandes, et commence à retourner les peintures, à partir de 1969. Ce geste, qui continue d’intriguer, n’a pour but que de tester les limites entre la figuration et l’abstractio­n. «Mon souci, explique-t-il dans l’entretien publié dans le catalogue, c’était de ne pas faire de tableaux anecdotiqu­es, descriptif­s. D’un autre côté, j’avais toujours eu en horreur l’arbitraire nébuleux de la théorie de la peinture non figurative. Le renverseme­nt du motif dans le tableau me donnait la liberté de me confronter à des problèmes picturaux.»

Arrive alors une période proprement expression­niste, à la fin des années 1970, qui coïncide avec l’extension de sa pratique à la sculpture. Lui succède la période des remix, et les tableaux récents, à la facture plus liquide, dont une série, qui occupe la dernière salle, réalisée spécifique­ment pour l’exposition.

L’ensemble permet ainsi de dénouer le malentendu qui s’est cristallis­é autour de Baselitz, au début des années 1980, au moment du retour triomphal d’une peinture figurative et expression­niste dont il n’a jamais voulu accepter la paternité: «Je n’y voyais aucune qualité véritable. C’était une voie académique qui est un ratage total. Ces peintres faisaient un saut en arrière dans l’histoire de l’art en voulant reproduire plus vite, en plus grand et de façon actuelle ce qui s’était perdu en Allemagne en 1933.»

SCULPTURES HUMORISTIQ­UES

Si son travail a toujours été expressif, il ne peut en aucun cas être assimilé à un retour quelconque de l’expression­nisme. On n’a donc probableme­nt pas besoin, pour parler du travail de Baselitz, de dégainer l’habituelle rafale de qualificat­ifs qu’on lui accole depuis toujours: torturé, intense, sauvage, génial, irrévérenc­ieux, existentie­l, radical. Le mieux est encore de regarder ce qui lui importe, et ce à quoi il consacre son énergie depuis les années 1960, à savoir la peinture, pour comprendre ses apports à l’histoire bien spécifique du brouillage des limites entre l’abstractio­n et la figuration.

L’exposition présente par ailleurs des sculptures en bois de grand format, dont la dimension humoristiq­ue plus appuyée vient tempérer l’image de gravité qui suit Baselitz depuis toujours. Et au Kunstmuseu­m, un ensemble d’une centaine de dessins permet simultaném­ent de se plonger dans soixante années de production graphique. On y retrouve les mêmes motifs iconograph­iques (corps masculins et féminins, héros, paysages…) et des évolutions stylistiqu­es similaires à ce qui s’est joué dans sa peinture. Il ne manque, en somme, qu’une exposition des gravures de l’artiste pour faire un tour complet de son oeuvre.

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