FIRST AID KIT: FRAÎCHEUR SUÉDOISE
Elles sont soeurs, originaires de Stockholm et revisitent la country folk à la sauce scandinave. Après quatre ans d’absence, le duo revient avec un nouvel album ravissant, entre émotions et expérimentations
A la fin de janvier, la disparition d’Ingvar Kamprad, fondateur d’Ikea, déchaîne les passions médiatiques. Les gros titres parlent d’un pays endeuillé qui, privé de son roi du mobilier, perdrait déjà le nord… Un raz de marée qui manque d’éclipser l’actualité, pourtant réjouissante, d’un autre produit suédois. Plus musical, moins commercial et livré en pack de deux, le groupe First Aid Kit faisait, quelques jours avant, son grand retour. On découvrait alors Ruins, un quatrième album poignant, différent, et pas déboussolé pour un sou.
C’est vrai, on n’avait plus vraiment de nouvelles de ce duo country folk depuis son dernier succès, Stay
Gold, sorti en 2014. Quatre années d’absence: les deux jeunes soeurs originaires de Stockholm ont pris leur temps. Mais après neuf ans de scène, Johanna la blonde, 27 ans, et Klara la brune, 24 ans, avaient besoin de souffler pour se retrouver.
HARMONIES CÉLESTES
First Aid Kit, littéralement «trousse de secours». Le nom a été choisi un peu par hasard, un jour en feuilletant un dictionnaire. Bonne pioche: il colle parfaitement à l’univers des soeurs Söderberg: des refrains doux, des mélodies flottantes, rêveuses, un peu mélancoliques aussi, de celles qui font du bien à l’âme. De celles qu’on écoute depuis le siège passager en regardant des forêts d’épicéas défiler.
Et puis toujours ces mêmes harmonies célestes, dont les deux soeurs ont fait leur signature sonore. Une union vocale pure et si organique qu’il est difficile de distinguer laquelle des deux femmes chante un ton au-dessus de l’autre.
Dès le début, c’est cette symbiose, combinée à une certaine innocence et une impressionnante musicalité, qui a charmé loin à la ronde. Nous sommes en 2008, les deux adolescentes, chemises à carreaux et joues rebondies, se filment dans la forêt en train de chanter «Tiger Mountain Peasant Song», du groupe américain Fleet Foxes. La vidéo cumule des centaines de milliers de vues (loin devant l’original), assurant une visibilité internationale aux deux soeurs, qui, tour à tour, signent avec un label anglais et jouent leurs premiers concerts à l’étranger. Johanna quitte le lycée, Klara ne l’a pas encore commencé. First Aid Kit est né.
AIRELLES ET BARBECUE
En 2010, les soeurs sortent The Big Black and the Blue.
A 20 et 17 ans respectivement, elles écrivent et composent l’intégralité des 11 titres de l’album, en plus de manier la guitare sèche et le clavier. Un son épuré et profondément country, voix claires sur cordes grattées, directement inspiré de Gram Parsons ou de Carter Family auxquels les soeurs ont été biberonnées.
Sur ces rythmes chaloupés, des histoires simples et sincères de marins égarés et de nuits étoilées, que les filles racontent dans un anglais parfait (elles ont suivi toute leur scolarité à l’Ecole internationale d’Enskede, un district de Stockholm). La sauce, mélange d’airelles et de saveur barbecue, est savoureuse et prend rapidement.
Suivront, à intervalle régulier, deux autres albums et plusieurs tubes qui envahiront les ondes: «Emmylou», ballade hommage au duo formé par les chanteuses country Gram Parsons et Emmylou Harris, ou «My Silver Lining», qui swingue façon «Jolene» de Dolly Parton. Le monde se laisse séduire par le naturel et l’univers très «feu de camp» des Suédoises, que viennent parfaire leurs looks bohèmes en mode chemises en jean et capelines.
Mais un vent nouveau souffle sur les plaines scandinaves. Sans perdre son ascendant country, Ruins surprend par quelques choix audacieux. Au milieu des cordes, les cuivres et même la guitare électrique s’invitent, empoignée par Johanna. «A l’origine, nos arrangements, c’était «moins on en fait, le mieux c’est», explique cette dernière au Temps. Aujourd’hui, nous essayons de ne pas nous limiter et de rester ouvertes à ce qui se passe en studio.»
Un élan de spontanéité dans l’univers ouaté de First Aid Kit, qu’a contribué à insuffler Tucker Martine, producteur de R.E.M avec qui le duo travaillait pour la première fois, enregistrant la quasi-totalité de l’album en live. «Nous avions besoin d’un nouveau départ, d’un challenge, poursuit Johanna. On adorait notre précédent album, mais on avait l’impression que tout ça sonnait un peu trop parfait. On voulait retourner à quelque chose de plus brut, de plus vivant.» Au point d’entonner des «la la la» avec la famille du producteur, choeurs enivrés qu’on retrouve sur l’un des morceaux.
RUINES AMOUREUSES
Surtout, on le sent, les jeunes filles en fleurs ont grandi. Naturellement, elles ont connu des aventures, des blessures aussi. «Klara venait de vivre une rupture donc évidemment, ça a déteint sur l’album, souligne l’aînée. On y trouve beaucoup de doutes, de questionnements, de douleur et de manques. Klara et moi avons suivi une sorte de thérapie en écrivant ces morceaux ensemble. Les jouer sur scène, c’est cathartique!»
Ruins, ce sont donc les vestiges d’un amour déçu, érigés en totem de la solitude et de la désillusion. «Ces derniers temps, j’ai pensé au passé, au fait qu’on ne peut rien retenir. A quoi bon gaspiller son chagrin, à propos de choses qui ne seront plus là demain?» entonne Klara, fataliste, dans l’énergique «It’s a Shame».
Mais parfois, la nostalgie laisse place à la philosophie. «Digérer la fin d’une relation, c’est aussi se trouver et réaliser qu’il y a une lumière à la fin du tunnel», souligne Johanna, comme le duo le rappelle dans «A distant star»: «Ça me rend triste de penser aux histoires et aux destins qui ne seront plus les miens. Mais je crois m’habituer au silence.»
Les filles s’amusent aussi, en flirtant avec l’univers des eighties, particulièrement tendance chez les
millennials et omniprésent dans le single «Fireworks», avec sa berceuse au synthé. On retrouve aussi cette atmosphère rétro dans le clip, où les deux soeurs se muent en reines de bal américaines à grand renfort de bouclettes, de robe-salopette et de fard à paupières pailleté. Une extravagance digne d’ABBA qui va à ravir à notre duo suédois.