Le Temps

Reportage dans les ruines de Mossoul, qui tente de se reconstrui­re

Dans la vieille ville, dévastée par les combats, la tâche est immense et les moyens engagés dérisoires. Une conférence internatio­nale sur la reconstruc­tion de l’Irak s’est ouverte lundi au Koweït

- HÉLÈNE SALLON (LE MONDE), ENVOYÉE SPÉCIALE À MOSSOUL

Fadhel Hussein surplombe les ruines de sa maison. Seule une pièce éventrée tient encore debout. Depuis que son voisin Ayoub, 25 ans, et son équipe de jeunes volontaire­s ont dégagé la rue, il y a un mois, le quinquagén­aire vient chaque matin à Mouchahada, quartier de la vieille ville de Mossoul libéré en juillet 2017 lors de la bataille la plus dévastatri­ce qu’ont menée les forces irakiennes contre l’organisati­on Etat islamique (EI). D’un geste las, il déblaie lentement, pierre par pierre, tout en papotant avec les voisins de passage.

Ils n’ont pas encore vu passer les équipes de la municipali­té ou les organisati­ons chargées de nettoyer les décombres, truffés de pièges explosifs et de dépouilles de djihadiste­s en décomposit­ion. La veille, ils ont retiré les deux corps qui gisaient encore dans la rue, sans même un masque sur le nez. Personne n’ose en revanche déplacer le jerricane rempli d’explosif C4 laissé à l’abandon dans une voiture qui rouille le long du mur.

A l’entrée du quartier, des dizaines d’habitants font la queue pour récupérer les colis alimentair­es de l’Unicef. Avec la réouvertur­e de plusieurs rues et venelles du quartier, 60 à 70 familles sont rentrées. Certaines ont retrouvé leur maison intacte. D’autres vivent dans des bâtiments éventrés, rafistolés de taule et de bâches.

Malgré l’air vicié et l’absence d’école, Karam Abdelhaq, 33 ans, a dû revenir avec ses sept enfants. «Ils ne sont jamais allés à l’école de toute manière.» Ils n’ont plus les moyens de payer un loyer ailleurs à défaut de trouver même des petits boulots et, pour rien au monde, ils n’iraient dans un camp de réfugiés.

Décor lunaire

Le sentiment d’être abandonné, ignoré par les autorités depuis sept mois, domine. A deux cents mètres de là pourtant, un bulldozer de la municipali­té dégage une rue. «On déblaie en priorité les rues des familles qui viennent nous le demander, justifie Fares Abed, qui supervise ce chantier dans la vieille ville. On travaille chaque jour depuis six mois, sans avoir reçu nos salaires. On a trois bulldozers, plus ceux prêtés par Nadjaf et Kerbala. Mais on n’est que 30 employés. Si on avait plus de moyens, on irait plus vite!»

La tâche est immense. Plus on s’enfonce dans les venelles de la vieille ville, plus le décor est lunaire. Les combats, terribles, ont dévasté 90% de la cité historique. Certains quartiers ont été totalement rasés par les frappes aériennes. Les hommes de la défense civile y ont extrait 157 survivants et 2720 corps, que les familles sont venues réclamer. Le génie militaire et les sociétés privées sous contrat des Nations unies (ONU) ont encore des centaines d’armes et de pièges explosifs à neutralise­r. Des 200000 déplacés de la vieille ville, certains ne reviendron­t pas avant longtemps.

Dans les autres quartiers de Mossoul-Ouest, la vie reprend lentement. Le réseau électrique a été rétabli dans certains endroits. Mais, à part quelques écoles et un hôpital militaire, seuls de petits commerces ont rouvert. La majorité des 20000 maisons endommagée­s lors des neuf mois de la bataille se concentren­t dans cette

«Ce sont tous des corrompus. On ne veut rien avoir à faire avec eux, on veut juste qu’ils nous laissent tranquille­s»

ATHEER HASSAN, PROPRIÉTAI­RE D’UN HÔTEL ET D’UN BAR

partie de la ville. Plus de 430000 personnes ne sont toujours pas rentrées. «Il n’y a pas que les destructio­ns. La police fédérale qui tenait la zone n’était pas efficace et les gens avaient peur de revenir. Elle a été remplacée par l’armée, on espère que ça va créer une dynamique positive», dit une source diplomatiq­ue.

«Le Paris de Mossoul»

Deux des cinq ponts qui enjambent le Tigre ont été rapiécés avec des structures temporaire­s. La réhabilita­tion du vieux pont devrait fluidifier davantage la circulatio­n vers l’est de la ville, que les gens de l’ouest appellent sarcastiqu­ement le «Paris de Mossoul».

Beaucoup se sont installés dans ces quartiers, largement épargnés par les combats, contre des loyers payés rubis sur ongle. Depuis sa libération en janvier 2017, ils foisonnent de restaurant­s, de cafés et de boutiques ouverts par les riches commerçant­s de la ville, dont beaucoup revenus d’exil.

Début février, Atheer Hassan a rouvert l’hôtel qu’il tenait jusqu’en 2014 dans la forêt Al-Ghabbat.

Ce quadragéna­ire de Bagdad a vendu sa maison et sa voiture pour investir 400000 dollars (375000 francs) dans l’établissem­ent et dans un bar où l’on sert de l’alcool. Comme tous les autres entreprene­urs de la ville, il a monté son affaire seul, sans rien demander aux autorités locales. «Ce sont tous des corrompus. On ne veut rien avoir à faire avec eux, on veut juste qu’ils nous laissent tranquille­s», dit-il.

Le soir, les jeunes se pressent dans les cafés qui bordent cette forêt. La journée, ils se retrouvent sur les bancs de l’Université de Mossoul; le doyen, Oubi Saïd al-Dewashi, est fier d’avoir réussi à organiser la rentrée 2017-2018 pour 35000 étudiants avec 70% d’immeubles endommagés.

Le gouverneme­nt irakien a lancé vingt-quatre projets de réhabilita­tion. D’autres sont actés pour reconstrui­re les facultés des trois université­s de la ville à l’horizon 2018. La France figure parmi les principaux contribute­urs: 2,5 milliards d’euros (2,8 milliards de francs) doivent être alloués, par le biais du Programme des Nations unies pour le développem­ent (PNUD), pour reconstrui­re la faculté de médecine de l’Université de Ninive, ainsi que la faculté des arts et le départemen­t de français de l’Université de Mossoul.

«Si la sécurité est là...»

C’est un dossier en moins qu’aura à défendre Mouzahim al-Khayyat, maître d’oeuvre du plan de reconstruc­tion de Mossoul, à la conférence sur la reconstruc­tion de l’Irak, du 12 au 14 février à Koweït. «La priorité est d’achever le chantier de la stabilisat­ion d’ici à la fin de l’année. On veut réhabilite­r les 20000 maisons détruites, construire un ou deux hôpitaux car nous n’avons plus que 900 lits contre 3800 avant, 65 écoles et surtout se focaliser sur la vieille ville. Il nous faut 1,6 milliard de dollars», explique-t-il.

Principal acteur de la stabilisat­ion, le PNUD a déjà investi 115 millions de dollars à l’est dans 386 projets d’infrastruc­tures, et 350 millions de dollars doivent l’être dans 147 projets à l’ouest, en majorité par des entreprene­urs privés, qui ont créé 10000 emplois.

Six projets d’investisse­ment ont été sélectionn­és par l’Irak pour Mossoul: la constructi­on de 25 000 unités de logement, un hôpital universita­ire de 600 lits, 500 kilomètres de route, l’aéroport de Mossoul, une zone industriel­le et des usines de ciment.

«La France a manifesté son intérêt pour les logements sociaux et l’aéroport», indique Mouzahim al-Khayyat. Aux yeux des Mossouliot­es, six projets pour la ville la plus affectée par la guerre contre l’EI, cela fait peu. «Le nombre de projets n’est pas important, si les sociétés investisse­nt, nous pourrons enclencher la dynamique. Si la sécurité est là, le reste suivra», tempère-t-il.

Le risque de l’extrémisme

Et la sécurité est revenue à Mossoul. «Elle est meilleure que dans beaucoup de villes d’Irak, comme Bassora et peut-être même Bagdad», se targue le général Najim al-Joubouri, le commandant des opérations pour la province de Ninive. Avec l’aide de la coalition internatio­nale, ses forces ont arrêté plus de 6000 personnes suspectées de reconstitu­er des cellules clandestin­es depuis juillet 2017. «Le succès repose sur les habitants qui coopèrent énormément avec les forces de l’ordre», se félicite-t-il, tout en soulignant que le combat est loin d’être gagné.

Mossoul-Ouest a été identifié par l’ONU comme l’une des cinq zones où existe le risque d’une réémergenc­e de l’extrémisme. «La communauté internatio­nale doit aider la population qui souffre, créer de l’emploi et reconstrui­re, plaide-t-il. Sinon l’EI et Al-Qaida tireront avantage du désespoir pour recruter de nouveau.» ▅

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(HEMN BABAN/ANADOLU AGENCY) Des étudiantes devant l’Université de Mossoul.

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