Le Temps

Dépistages génétiques, un progrès teinté d’angoisse

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Marta Vitale, psychologu­e aux HUG, a suivi une centaine de personnes ayant demandé à tester leurs prédisposi­tions génétiques à certains cancers. Dans son livre, elle analyse les répercussi­ons psychiques de ce type de dépistage

Plus d’un an. C’est le temps qu’il aura fallu à une patiente atteinte d’un cancer du sein pour annoncer à sa famille qu’elle était porteuse d’une mutation génétique héréditair­e la prédisposa­nt à développer cette maladie. Longtemps, la crainte d’une réaction négative a prédominé. Puis le besoin d’avertir ses proches, possibleme­nt concernés, a pris le dessus. «Si j’avais moi-même disposé de ces informatio­ns, il est probable que mon affection aurait pu être diagnostiq­uée antérieure­ment. J’espère surtout ne pas vous avoir alarmé…», écrit-elle dans une lettre à ses cousins.

Si la médecine prédictive se positionne depuis quelques années déjà comme un domaine incontourn­able des biotechnol­ogies, l’analyse de ses répercussi­ons psychiques, elle, est très récente. Marta Vitale, psychologu­e dans le service d’oncologie des Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG), a suivi, depuis 2008, plus de 125 sujets s’étant soumis à un dépistage génétique. De cette étude, elle en a tiré un livre tout juste paru aux Editions Erès, Psychanaly­se et prédiction génétique du cancer, la certitude de la probabilit­é.

Des récits que vous avez recueillis ressort une question lancinante: comment vivre avec l’ombre d’une maladie dont on ne sait si elle se déclarera un jour? C’est vrai. On estime par exemple qu’une femme porteuse d’une prédisposi­tion sur le gène BRCA1 ou BRCA2 aura un risque de présenter un cancer du sein de l’ordre de 60 à 85%, contre 10 à 12% dans la population générale. Il faut toutefois savoir que la plupart des personnes venant en consultati­on d’oncogénéti­que ont une histoire familiale fortement liée à la maladie. Très souvent, elles ont déjà dans l’idée d’être prédestiné­es. Si le dépistage génétique est négatif, cela donnera la possibilit­é, à la personne concernée, de sortir de ce mythe construit au fil des génération­s. Dans le cas contraire, il n’y aura pas nécessaire­ment d’effets traumatiqu­es, dans le sens où ce résultat viendra s’intégrer à cette histoire.

Vous relevez également des réactions très contrastée­s suite à l’annonce des résultats. En effet. Pour certains, la présence d’une mutation est accueillie positiveme­nt. C’était le cas d’une patiente atteinte d’un cancer du côlon, à qui l’on ne cessait de répéter que sa maladie était due à son alimentati­on. La découverte d’une mutation génétique peut donner une explicatio­n concrète, une raison à l’apparition du cancer. D’autres réactions sont plus ambivalent­es: une proposante [ainsi sont nommées les personnes qui passent un test génétique, ndlr] me confiait être à la fois soulagée de ne pas être porteuse, mais en même temps se sentir moins protégée. En revenant, en termes de risque, à la moyenne de la population générale, elle regrettait de ne pouvoir profiter des programmes de prévention destinés aux personnes porteuses. Et puis il y a cette nécessaire implicatio­n des autres membres de la famille pouvant entraîner, chez certaines personnes, des difficulté­s sous-estimées… Ce type de test est coûteux, c’est pourquoi on ne propose une prise de sang qu’à la personne présentant, dans une famille donnée, le plus de probabilit­é d’être porteuse d’une mutation génétique. Avant toute chose, lors de la première consultati­on, on demande au proposant de reconstrui­re l’arbre généalogiq­ue de sa famille, afin d’analyser le nombre de cas de cancers présents dans sa parenté. Cet exercice, qui matérialis­e l’histoire de la vie de la personne concernée, soulève des thèmes fondamenta­ux de l’existence: la naissance, l’héritage, la mort… et produit souvent des récits qui dépassent le discours strictemen­t médical.

Dans certains cas, l’existence de ruptures ou de tabous familiaux oblige les proposants à construire des stratégies pour en savoir plus sur leurs antécédent­s familiaux. Parfois, cette démarche aboutit à une reconstruc­tion de liens perdus, d’autres renoncent à aller plus loin.

On sait que les probabilit­és d’une transmissi­on héréditair­e d’une mutation génétique s’élèvent à 50%. On imagine dès lors aisément qu’un résultat positif soit délicat à communique­r à la famille… Un test génétique peut en effet avoir des conséquenc­es douloureus­es pour le reste de la famille, mais il représente aussi une opportunit­é d’anticiper la mise en place d’une surveillan­ce et d’actes de prévention chez d’autres membres de la parentèle. Certaines personnes ressentent toutefois un fort sentiment de culpabilit­é. Elles ont l’impression d’avoir été égoïstes en demandant un tel dépistage, de ne pas avoir assez réfléchi aux conséquenc­es que ces résultats pourraient avoir. Souvent, les proposants ont besoin d’un temps de réflexion – parfois plusieurs mois – afin de trouver les mots justes, le meilleur moyen de transmettr­e l’informatio­n.

«La découverte d’une mutation génétique peut donner une explicatio­n concrète»

MARTA VITALE, PSYCHOLOGU­E AUX HUG

Cette question de la circulatio­n des résultats ouvre également des questions éthiques? Absolument, car aujourd’hui en Suisse, et contrairem­ent à d’autres pays comme la France, il est uniquement de la responsabi­lité du proposant de transmettr­e l’informatio­n. Un dépistage reste un acte privé, la personne testée n’est donc en aucun cas tenue d’informer les autres membres de sa famille des résultats d’un examen génétique, même si ceux-ci pourraient avoir des conséquenc­es sur leur santé. ▅

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(TEK IMAGE/SCIENCE PHOTO LIBRARY) Un test génétique peut avoir des conséquenc­es douloureus­es pour le reste de la famille, mais il représente aussi une opportunit­é d’anticiper la mise en place d’une surveillan­ce et d’actes de prévention.

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