Le Temps

Eric Dupond-Moretti, l’ange de Cahuzac en quête d’acquitteme­nt

Il est la dernière chance judiciaire de Jérôme Cahuzac. Pour cet avocat hors norme, redoutable tribun, réputé pour obtenir les plus improbable­s acquitteme­nts, la loi est tout sauf une affaire morale

- RICHARD WERLY, PARIS @LTWerly

L’ours qui s’apprête à rugir demande des pastilles pour la gorge. 16h15 ce mardi, lors d’une suspension d’audience de la Cour d’appel de Paris. Eric Dupond-Moretti est là, face aux journalist­es, à réclamer de l’aide pour calmer sa toux. Coïncidenc­e: l’auteur de ces lignes sort d’une méchante angine et lui tend un remède. L’avocat scrute notre badge, voit «Le Temps», et prend alors quelques minutes pour évoquer son dernier passage sur les bords du Léman, en 2015, à l’invitation de l’Ordre des avocats vaudois. Tandis que les caméras filment ses moindres gestes, et que Jérôme Cahuzac se morfond à l’intérieur pour éviter la ruée médiatique, «Acquittado­r» nous demande même de «faire une bise» à Fati Mansour, chroniqueu­se judiciaire du journal. Ce sera fait. Le grand fauve des prétoires aime impression­ner et cajoler la presse.

Le doute comme une arme

On l’avait, voici trois ans tout juste, interrogé sur son surnom, contractio­n d’acquitteme­nt et de toréador, en hommage à cette tauromachi­e qu’il avoue apprécier. Février 2015. Dans la grande salle du sous-sol du Palais de justice de Lille, fruit des délires de bétonneur des années 60, le défenseur star était resté tapi, silencieux, durant le procès pour proxénétis­me aggravé de Dominique Strauss-Kahn et de ses acolytes du réseau «Carlton». Lui défendait David Roquet, cet ex-cadre de la société Eiffage, accusé d’avoir organisé la logistique des sorties débridées de l’ancien patron du FMI. Au final? Une relaxe de son client, comme pour la plupart des prévenus, dont DSK. Et déjà ce débat entre la justice et la morale, entre la lame affûtée du droit et les contours sinueux de l’existence: «L’hyper-moralisati­on pourrit notre société, nous expliquait-il quelques mois plus tard, à l’issue d’une présentati­on de son premier livre Bête noire. Or les magistrats ne vivent pas hors sol. Ils jugent à un moment donné, à une époque donnée, dans un climat donné.»

L’acquitteme­nt est le «graal» de tout pénaliste. Il redonne vie à l’accusé, mais témoigne surtout du fait que le doute l’a emporté. «Acquittado­r», machine à faire douter les juges? «Dupond-Moretti a cette capacité rare de diagnostiq­uer la bonne faille dans le raisonneme­nt judiciaire, explique un magistrat qui a souvent ferraillé avec lui. Au fond, il ne défend pas une personne. Il défend l’idée même du doute. Sa tactique, c’est d’ébranler les fondamenta­ux.» Traduction immédiate au procès en appel de Jérôme Cahuzac, qui se poursuit jusqu’au 21 février. Assis juste derrière l’ancien ministre du Budget accusé de fraude fiscale, notre homme ne protège pas son client. Il en brosse au contraire un portrait au burin, dénué de finesse et d’empathie. Oui, Cahuzac était un forcené de l’ambition. Oui, ce type séduisant au physique de boxeur était facile à détester. Oui, les soutes de sa réussite passée sont peu reluisante­s. «Vous auriez pu ne pas faire de politique, dit-il en s’adressant à lui. Puis vous auriez pu renoncer à vos ambitions. Mais alors, il vous serait resté quoi?» C’est la faute d’un homme seul, perdu dans ses fantasmes de pouvoir, que la justice doit évaluer.

On feuillette ses trois livres, dont le tout dernier, Directs du droit, publié en 2017 aux Editions Michel Lafon, comme les précédents. L’éditeur dit tout. Les avocats stars du Barreau de Paris (il s’y est inscrit après avoir quitté Lille) préfèrent les maisons d’édition plus capées que ce grand producteur de livres populaires, version trash. «Acquittado­r», lui, a fait de la provocatio­n un miroir utile et déformant. Côté public, ce chasseur-bouffeur-fumeur incarne l’archétype du mâle dominant. Côté justice, il est un avocat haï par les parties civiles, surtout après sa défense d’Abdelkader Merah et de Georges Tron, l’élu accusé de harcèlemen­t sexuel dont il est parvenu à torpiller le procès en utilisant les remords off du président du tribunal. Côté privé, son itinéraire est bien plus policé. «Dupond», comme le surnomment certains collègues – Moretti était le nom de sa mère, femme de ménage, qui l’a élevé dans la région de Valencienn­es –, vit avec la chanteuse canadienne Isabelle Boulay, fine interprète des refrains populaires-intellos de Serge Reggiani. Son compagnon de plume, pour ses ouvrages, est le chroniqueu­r judiciaire du Figaro Stéphane Durand-Souffland. La bourgeoisi­e parisienne aime ses éclats. Cet homme-là plaide comme il est: rugueux à l’extérieur, subtil à l’intérieur.

Pourfendeu­r de certitudes

Retour au procès Cahuzac. Le contraste est saisissant. En première instance, Me Jean Veil, conseil patelin de l’ancien ministre, s’était calé dans le rôle du confesseur, après avoir reçu, le 2 avril 2013, les premiers aveux de son client. Eric Dupont-Moretti, lui, plaide là où ça fait mal. Patricia Cahuzac, l’exépouse condamnée à 2 ans ferme et qui n’a pas fait appel, est, en une phrase, presque présentée comme l’une des responsabl­es des malheurs judiciaire­s de son ex-mari. La politique, le mouvement rocardien (auquel appartenai­t Cahuzac) et l’ancien président François Hollande sont désignés comme potentiels coupables.

La fraude fiscale et l’exil du compte bancaire en Suisse, puis à Singapour via des sociétés-écrans au Panama et aux Seychelles, ennuient à mourir ce pourfendeu­r de certitudes. Lui qui déteste la proliférat­ion des normes et des règlements n’est en rien ébranlé par les mensonges de l’ancien ministre pour y échapper. Son associé, Antoine Vey, tignasse et barbe blonde, veille à ses côtés, en bon officier en second. Traumatisé à vie, dit-on, par l’affaire de ce grand-oncle retrouvé mort en 1957 dans des conditions suspectes et pour lequel une enquête ne fut jamais ouverte, «Acquittado­r» fait parler les faits à sa manière, convaincu que l’engrenage judiciaire a toujours besoin d’un grain de sable. Jérôme Cahuzac a menti. Souvent, beaucoup, à tous, et surtout à lui-même. Et alors? Mentir malgré les évidences, y compris devant l’Assemblée nationale, n’est-ce pas la preuve que la vérité des hommes restera toujours un leurre? ▅

«L’hyper-moralisati­on pourrit notre société»

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