Le Temps

L’islam hante le débat politique et intellectu­el français

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je nourrissai­s même l’espoir, pour tout dire, que l’actualité viendrait chasser de cette chronique la question de l’islam en France, tellement le sujet est explosif. Sauf que cela s’est avéré impossible. Comment ne pas revenir sur cette question qui me vaut, depuis mon récit sur les «déçus de Tariq Ramadan», une pluie de courriels et des volées d’insultes? Et comment ignorer que le mal est profond lorsque mon article interloqué sur le départ de la jeune Mennel Ibtissem du plateau de The Voice déclenche une deuxième tempête, conduisant des lecteurs (presque tous français) à me considérer au mieux comme un observateu­r naïf, au pire comme un suppôt de cet islamisme radical qui arme le bras des futurs terroriste­s?

Premier message à l’intention de tous ceux qui m’ont écrit pour me reprocher ma prétendue candeur: j’ai tout bien lu, tout bien compris. Second message à mes interlocut­eurs qui soit ont refusé que j’imprime leurs propos déçus sur Tariq Ramadan, soit m’ont reproché ensuite de caricature­r leurs positions sur le prédicateu­r suisse toujours placé en détention pour viol: le débat se porterait mieux, dans cette cocotte-minute communauta­ire qu’est l’Hexagone, si vous assumiez votre parole publique, et si vous ne fustigiez pas en permanence les médias.

Je m’explique: que Tariq Ramadan ait été en partie fabriqué par des médias télévisuel­s complaisan­ts, amateurs de ce très bon «client» islamique est une chose. Mais pourquoi n’avoir pas davantage réclamé la parole? Pourquoi ne pas faire savoir à BFM TV, à Ruquier, à Ardisson, à Hanouna et autres gourous des plateaux qu’ils creusent de dangereux fossés? J’ai cité la belle énergie éditoriale déployée par l’équipe du site Oumma.com et je tiens ici à leur rendre de nouveau hommage. Eux s’expriment. Alors qu’au moins quatre universita­ires français de confession musulmane, détracteur­s sans merci de Tariq Ramadan en privé, ont refusé de me laisser imprimer leurs propos parce que cela serait «inévitable­ment réducteur».

Passons à la grande question: que faire? Emmanuel Macron a proposé, dans Le Journal du Dimanche, une nouvelle réforme de la représenta­tivité de l’islam de France au premier semestre 2018. «Il y a une question qui est celle de l’organisati­on. Il y en a une autre qui est celle du rapport entre l’islam et la République», juge-t-il. Soit. Mais quid des musulmans français ou des Français de culture musulmane? Comment parvenir, dans cette France laïque rongée par le goût des anathèmes, à construire un avenir de «fierté» pour ces millions de «Gaulois de l’islam», expression entendue alors que j’enquêtais sur Tariq Ramadan? Car tout est dans ce mot «fierté». L’islam traumatise la France parce qu’une partie de sa population ne veut pas d’un islam «fier» dans le concert républicai­n.

Il faut, dans ce contexte, saluer le travail de la Fondation de l’islam de France, présidée par Jean-Pierre Chevènemen­t. L’institutio­n finance des bourses et des exposition­s, coopère avec les Scouts musulmans de France et vient de signer une convention avec le CNRS pour des recherches en islamologi­e. Marginal? Elitiste? Soit. Mais Les intellectu­els français devraient s’en féliciter. Comme ils devraient aussi – surtout les enseignant­s – redire haut et fort que le goût pour les scandaleus­es thèses complotist­es d’une jeune femme de 20 ans attirée par les sunlights de The Voice ne fait pas d’elle une égérie des talibans et de Daech!

Le problème, avec l’islam de France, est le volet sécuritair­e. Comment déceler les radicalisé­s? Comment déjouer la «taqîya», cet art de la dissimulat­ion? Question centrale et affreuseme­nt complexe. Lisez, pour vous en convaincre, le passionnan­t livre Je ne pouvais rien dire de l’ex-agent du renseignem­ent intérieur Paul-Louis Voger (Ed. l’Archipel). Vous y retrouvere­z tous les personnage­s de la galaxie islamo-délinquant­e-terroriste depuis 1990. Tous. Un par un, fichés, connus, suivis, écoutés. Et pourtant: «l’usine à gaz» du renseignem­ent français (le mot est de l’auteur) a bel et bien échoué à empêcher les attentats. Ce livre, écrit par un policier vétéran, prouve que l’islam de France ne peut pas se réduire à une équation sécuritair­e dans cette République aux racines chrétienne­s mais aussi coloniales, comme le rappelle l’historien Emmanuel Garnier dans L’Empire des sables, La France au Sahel 1860-1960 (Ed. Perrin). L’islam est aujourd’hui en France une donne politique, sociétale, culturelle, éducative. Ce qui suppose bien sûr, pour les musulmans français, d’intégrer la laïcité. Mais, surtout, de s’accepter mutuelleme­nt. ▅

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