Le Temps

Odyssée martienne dans l’Utah

- ROMAIN RAYNALDY

Mars comme si on y était. Depuis dix-sept ans, deux bases de la Mars Society, dont l’une est située dans le désert de l’Utah, accueillen­t des scientifiq­ues qui veulent se confronter à un environnem­ent qui rappelle la planète rouge.

Depuis dix-sept ans, deux bases de la Mars Society accueillen­t des scientifiq­ues désireux d’améliorer les connaissan­ces quant aux conditions de travail sur la planète rouge

2001, odyssée martienne… C’est au tournant du siècle que la Mars Society inaugure sa base de recherche Mars Desert Research Station (MDRS) dans le désert de l’ouest américain, un an après l’ouverture d’une première base dans l’Arctique canadien. Du froid polaire à la fournaise de l’Utah, l’objectif est le même: accueillir et entraîner des chercheurs au travail sur la planète rouge.

Rien n’était gagné à l’époque. «Quand nous avons ouvert la Station, ma mère refusait de dire à quiconque ce que je faisais», se souvient Shannon Rupert, directrice de la MDRS. Dix-sept ans plus tard, c’est une tout autre histoire.

Le film Seul sur Mars avec Matt Damon, les exploits hypermédia­tisés du rover Curiosity sur le sol martien, et les premiers succès de SpaceX, l’entreprise astronauti­que d’Elon Musk, le charismati­que patron de Tesla, ont radicaleme­nt changé la perception de la planète rouge. Et la recherche martienne semble aujourd’hui beaucoup moins farfelue. «Maintenant, ma mère poste toutes nos activités sur les réseaux sociaux», ironise Shannon Rupert.

Et elle a de quoi faire: la base n’a jamais été aussi populaire. Près de 190 équipes ont déjà séjourné à la MDRS depuis son ouverture et pour faire face à la demande, la saison de recherche 2019-2020 durera neuf mois – contre huit aujourd’hui et quatre pendant les premières années. «Le grand public adhère aujourd’hui à l’idée d’une exploratio­n habitée de Mars. Et toutes les agences spatiales font de la recherche martienne, sous quelque forme que ce soit», observe la directrice de la MDRS. «Pour nous, qui étions pionniers et considérés comme des fous à l’époque, c’est une victoire.»

Financière­ment, la base est autosuffis­ante. Organisati­on à but non lucratif, la Mars Society fait tourner la machine avec les donateurs – parmi lesquels Elon Musk et la NASA –, les événements privés

«C’est comme jouer avec une maison de poupées. Il y a des similarité­s mais ça ne vous prépare pas à être propriétai­re»

DAVID A. PAIGE, DE L’UNIVERSITÉ DE CALIFORNIE À LOS ANGELES

(publicités, films) et la participat­ion, volontaire­ment modeste, des équipes de chercheurs – 600 dollars par mission, pour un étudiant. «Environ 75% des équipes viennent de l’étranger, et 75% sont composées d’étudiants», précise Shannon Rupert.

Installée dans un environnem­ent qualifié d’analogue à celui de Mars, la base s’articule autour d’une unité d’habitation cylindriqu­e de deux étages et de 8 mètres de diamètre, le «Hab», pouvant héberger jusqu’à sept personnes. Elle est complétée par un observatoi­re et une serre. Les missions durent généraleme­nt deux à trois semaines, pendant lesquelles les équipes, quel que soit l’objet de leur recherche, vivent dans les conditions supposées d’une mission martienne: leurs membres restent confinés dans le Hab et ne peuvent sortir sur le terrain que vêtus d’un scaphandre.

Les recherches conduites sur le site embrassent de nombreuses discipline­s, de la géologie à la microbiolo­gie, en passant par l’agronomie, les tests de nouveaux équipement­s et les sciences comporteme­ntales. De l’aveu même de Shannon Rupert, elles n’ont pas vocation à bouleverse­r la connaissan­ce ou à révolution­ner la recherche, mais plutôt à explorer une multitude de questions soulevées par l’exploratio­n humaine de Mars. Car «quand nous enverrons des gens là-bas, ce sera avec nos connaissan­ces du moment. Et elles ne seront probableme­nt même pas suffisante­s». Et d’ajouter: «Mais on ne vient pas ici pour tester du matériel à 2 millions de dollars.»

Quel comporteme­nt?

Une réalité confirmée par le professeur David A. Paige, de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), qui a développé le radar géologique du prochain rover martien de la NASA et qui se rendra dans l’Utah en avril pour tester un prototype… sans passer par la MDRS. «L’environnem­ent naturel de l’Utah nous suffit pour nous préparer à l’utilisatio­n du radar. Nous irons tout seuls», explique-t-il, partagé sur l’utilité d’une base comme la MDRS. «Je ne doute pas qu’il en sorte des données intéressan­tes. Mais on peut se demander si elles seront vraiment applicable­s quand nous irons sur Mars», dit-il. «C’est comme jouer avec une maison de poupées. Il y a des similarité­s avec une vraie maison mais ça ne vous prépare pas à être propriétai­re.»

Pour lui, l’apport le plus significat­if du MDRS concerne les études comporteme­ntales. Il rejoint en cela Shannon Rupert, qui observe qu’une grande partie des publicatio­ns scientifiq­ues inspirées des missions de la MDRS traitent des dynamiques de groupes – un aspect fondamenta­l de l’exploratio­n martienne.

«Les équipes qui partiront sur Mars n’auront rien à voir avec celles d’Apollo ou de l’ISS, composées de personnes très réactives, capables de gérer l’adrénaline tout en suivant les ordres», explique la directrice de la MDRS. Pour les missions martiennes, qui dureront probableme­nt environ deux ans, «il faudra trouver des gens capables de cohabiter pendant plusieurs années et de supporter l’ennui pendant de longues périodes. Ce sera beaucoup plus complexe que ce que l’on veut bien imaginer», assure-t-elle. Il reste encore du temps pour s’entraîner. ▅

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(BENJAMIN RASMUSSEN/GETTY IMAGES)
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(DR) De simples actions, comme ramasser des cailloux, doivent être repensées si on veut les maîtriser sur une autre planète.

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