Le Temps

«Repenser le tourisme à Genève»

Pierre Maudet détaille la révolution qu’il veut imposer aux acteurs de la Genève touristiqu­e au sens large

- PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID HAEBERLI ET STÉPHANE BENOÎT-GODET @David_Haeberli, @SBenoitGod­et

«Il faut penser sans tabou. Réfléchir à l’échelle transfront­alière est absolument nécessaire.» Le conseiller d’Etat Pierre Maudet détaille la révolution qu’il veut imposer aux acteurs de la Genève touristiqu­e au sens large. Au moment où Genève Tourisme annonce des Fêtes réduites au strict minimum.

Après les pertes financière­s des éditions 2016 et 2017 (déficit cumulé de 9,2 millions de francs), les Fêtes de Genève 2018 seront réduites à un feu d’artifice. Genève Tourisme, l’organisme qui réunit les hôteliers, les commerçant­s, les restaurate­urs (qui financent les festivités via une taxe) et les autorités l’a communiqué mercredi, comme promis fin 2017, lors de l’annonce des départs forcés de son directeur et du responsabl­e des Fêtes. Une mesure plus radicale encore que l’initiative populaire sur laquelle les habitants de la ville de Genève voteront le 4 mars: quatre jours de fête, pas plus.

Cette votation et les soubresaut­s de l’événement qui fut central dans l’animation estivale de Genève importent peu à Pierre Maudet: «Il faut privilégie­r des solutions qui favorisent la plus grande flexibilit­é possible dans l’organisati­on des Fêtes.» Conseiller d’Etat chargé de l’Economie, et comme tel ministre de tutelle de Genève Tourisme, il se projette dans un chantier bien plus vaste: «Rénover l’image de la destinatio­n Genève.» Cela passera par les états généraux du tourisme, le 15 mai prochain. Explicatio­ns.

Pierre Maudet, des Fêtes sur un seul week-end, ponctué par un feu d’artifice, cela vous convient-il? Oui, pour une année de transition. Genève Tourisme ne peut plus passer la majeure partie de son temps à débattre puis organiser ces festivités estivales. Ce n’est pas sa mission de base, alors que l’image de Genève comme destinatio­n demande à être dynamisée. Par ailleurs, on a enfermé les Fêtes de Genève dans une opposition stérile entre touristes et locaux qui ne débouche sur rien de constructi­f.

Qui doit financer ces animations? Une partie des taxes touristiqu­es, qui rapportent 16 millions, peut y être consacrée. Mais je laisse d’abord la Ville de Genève, qui consacre chaque année 260 millions de francs à la culture, développer comment elle entend contribuer à animer l’été genevois sur son territoire. Elle pourrait par exemple rapprocher du lac la scène Ella Fitzgerald [où sont donnés des concerts gratuits tout l’été, ndlr]. Alterner la présence des forains entre rive droite en juillet et rive gauche en août. Voire relancer les animations urbaines. Les possibilit­és sont multiples. J’en parlerai avec Sami Kanaan prochainem­ent.

Sur quoi vous basez-vous pour dire que l’image de Genève doit être repensée? Prenez la venue de la compagnie française Royal de Luxe, cet automne, avec ses deux Géantes. Cet événement a été intensémen­t médiatisé dans notre région. Et pourtant, il n’a généré que 1000 nuitées dans les hôtels genevois. C’est peu. Je pense qu’il a été surexploit­é localement, et pas du tout porté à l’internatio­nal. J’ai fait quelques recherches, et la dernière manifestat­ion d’importance pour laquelle le New York Times a parlé de Genève comme d’un lieu où se déroule un événement à ne pas manquer était 1994, avec les escaliers du cinéaste britanniqu­e Peter Greenaway.

Quel est votre calendrier de réforme? Il court sur trois temps. Dès aujourd’hui et jusqu’à mi-mars, deux délégués de mon départemen­t approchero­nt les acteurs du milieu touristiqu­e pour recueillir leurs idées et leurs constats. Certains apprendron­t d’ailleurs avec cette démarche qu’ils sont partie prenante de la Genève du tourisme. Je pense par exemple aux cliniques privées. La santé représente 12% du PIB suisse et il existe un gros potentiel de développem­ent économique. L’image internatio­nale de Genève, la réputation de qualité qui est associée à la Suisse notamment dans les soins doivent permettre d’en faire une destinatio­n de référence pour le bien-être. Mi-avril, nous produirons un premier document qui exposera des thèses de réflexion ouvertes. Par exemple au plan structurel: faut-il, comme à Vienne, en Autriche, donner une plus grande autonomie au Bureau des congrès en ayant un comité indépendan­t? Dans un horizon de quinze ans, Genève aura besoin de nouveaux espaces pour attirer des congrès.

Qui voulez-vous associer à cette réflexion? Il faut penser sans tabou. Réfléchir à l’échelle transfront­alière est absolument nécessaire. Prenons l’exemple des hôtels cinq étoiles. Genève en compte plus que Zurich. Pourtant ils ne suffisent pas à absorber la clientèle, si bien que le Jiva Hill, dans l’Ain, en France, est de facto un acteur de ce domaine. Idem pour le golf: les dix-huit trous accessible­s sont en France voisine. Les touristes ne viennent pas à Genève pour skier. Ils passent par notre aéroport pour rejoindre Chamonix. Pourquoi Chamonix et Genève ne communique­raient-ils pas ensemble? Pensons au-delà des frontières. Pensons bassin de population, et non territoire politique.

Le tourisme pourrait ainsi, selon vous, relancer le projet d’agglomérat­ion du Grand Genève, aujourd’hui au point mort? La revitalisa­tion de ce dossier peut assurément se faire via le tourisme, en pensant la question des transports comme un élément structuran­t. Il est nécessaire de valoriser les atouts et la destinatio­n Genève en tant que telle. Il ne s’agit pas de faire comme les autres, ni de se comparer à tout, mais de mettre en avant nos spécificit­és propres et la région unique dans laquelle nous vivons. Genève est la porte d’entrée de la Suisse romande et de la France voisine pour les touristes, la vision de son développem­ent touristiqu­e doit être la plus large possible. Quel serait le rôle de Genève Tourisme, à terme? Promouvoir l’image de Genève en coordinati­on avec les acteurs concernés. Il devient urgent de développer une plateforme numérique de la dernière génération, par exemple. Je veux un regain de pilotage sur la destinatio­n de Genève. Il va falloir travailler sur quatre paramètres: le prix des hébergemen­ts, la qualité, notamment en matière d’accueil, les infrastruc­tures, pour lesquelles il ne faut pas s’interdire d’investir, ainsi que de nouvelles approches de promotion de la destinatio­n sur le territoire géographiq­ue.

Sur quoi reposerait l’image de Genève rénovée, dans votre esprit? Sur cinq éléments: la destinatio­n de loisirs qui joue son atout lacustre mais valorise aussi son arrière-pays et son terroir, le tourisme d’affaires qui combine capacité d’accueil et originalit­é de la prise en charge, la Genève internatio­nale qui donne une dimension unique et rassembleu­se à la Cité, l’offre culturelle et académique qui rayonne par exemple avec la HEAD et nous place à l’avant-garde scientifiq­ue avec le CERN, et enfin l’investisse­ment sur la jeunesse, avec le volet culturel – notamment off – d’une part et la formation dans le domaine de l’hôtellerie de l’autre, qui est déjà très bonne et que l’on pourrait renforcer avec un effort sur la main-d’oeuvre indigène, encore peu présente dans cette branche. Le tout doit donner l’image d’un pôle dynamique, centré sur la qualité et la créativité. Nous ne sommes pas perçus comme cela et je le regrette, car tout est réuni pour faire ce saut audacieux.

Dans l’affaire des Fêtes de Genève, les hôteliers ne se sont pas montrés particuliè­rement proactifs. Les percevez-vous comme un obstacle dans cette rénovation? Non, je les crois demandeurs, comme j’ai pu le constater sur le dossier Airbnb. Mais il va falloir stimuler plusieurs secteurs, c’est vrai. On doit réaliser que la disruption dont on parle depuis des années est bien là. Je suis récemment allé à Bruxelles, dans un hôtel où j’ai pu non seulement réserver la chambre par Internet, mais aussi calibrer cette expérience hôtelière avec une série d’options prises en charge par un personnel local très polyvalent, avec l’impression une fois arrivé que j’étais dans du sur-mesure. C’est comme cela que les gens veulent voyager aujourd’hui. De plus, il faut prendre conscience que cela représente une extraordin­aire opportunit­é de générer une nouvelle offre, plus individual­isée, et de stimuler la création de nouvelles entreprise­s comme on les voit fleurir dans d’autres villes.

«Il devient urgent de développer une plateforme numérique de la dernière génération»

N’y a-t-il aucun exemple local qui vous inspire? Bien sûr que si. L’ouverture par le groupe Accor d’un établissem­ent à Carouge centré sur la bande dessinée. La BD, de Töpffer à Zep, est associée à Genève. C’est un excellent exemple de l’exploitati­on intelligen­te d’éléments historique­s locaux que l’on ne retrouve pas ailleurs et qui rend donc cet hôtel unique. L’horlogerie est par exemple une industrie intimement liée à Genève et il faudra l’associer à notre démarche. Les hôtels genevois accueillen­t trois millions de nuitées par année. Ce chiffre n’évolue guère depuis des années. Il le fera lorsqu’on réfléchira tous azimuts. Les touristes chinois ou indiens veulent un service personnali­sé et authentiqu­e. Or il n’existe que 12 bed and breakfast dans tout le canton. Je suis persuadé que le développem­ent de cette offre rencontrer­ait un grand succès. Le canton vient d’ailleurs d’assouplir sa réglementa­tion en la matière pour stimuler l’offre.

On devine que plusieurs collectivi­tés publiques, singulière­ment la Ville de Genève, ne sont pas sur la même longueur d’onde, non? Leur implicatio­n sera capitale. Mais cela passera par l’élaboratio­n d’une vision commune sur l’image de Genève, sans concession par rapport à la situation actuelle. Dans le monde qui nous entoure les changement­s s’accélèrent. A cet égard, le monde du tourisme produit une quantité de données que nous n’utilisons que très partiellem­ent, peut-être par peur de se voir désavouer sur les efforts consentis dans certains domaines jusque-là. Je compte bien utiliser le Big Data pour mener des études comparativ­es entre l’offre touristiqu­e et culturelle genevoise et internatio­nale. ▅

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(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) Pierre Maudet: «Tout est réuni pour faire un saut audacieux dans le domaine touristiqu­e.»

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