Le Temps

La patte indélébile des Obama

ÉTATS-UNIS Les portraits modernes et colorés de Barack et Michelle Obama détonnent dans l’univers feutré du Smithsonia­n Museum. Reconverti­s en critiques d’art, les internaute­s se livrent aux analyses les plus diverses

- SYLVIA REVELLO t @sylviareve­llo

Deux nouvelles toiles ont fait leur entrée à la National Portrait Gallery du Smithsonia­n Museum de Washington. Et elles tranchent avec le style traditionn­el. Pour laisser leur trace dans l’histoire des présidents américains, Barack et Michelle Obama ont choisi deux artistes afro-américains à l’esthétique moderne et colorée. Une première depuis l’instaurati­on de ce rituel officiel en 1796. Le choix jugé tour à tour iconoclast­e ou prodigieus­ement innovant fait jaser sur les réseaux.

Fond austère, mine solennelle et costume cravate rangé: les peintures à l’huile représenta­nt les anciens présidents, le plus souvent debout dans leur bureau, semblent appartenir à un autre siècle – même les plus récentes. Assis sur un fauteuil, les mains croisées sur les genoux, Barack Obama, lui, se détache sur un fond vert parsemé de fleurs du Kenya et d’Hawaii, ainsi que de chrysanthè­mes jaunes, emblème de Chicago, berceau de sa carrière.

Entre baroque et pop

L’oeuvre est de Kehinde Wiley, un New-Yorkais naviguant entre baroque et pop culture connu pour ses représenta­tions de personnali­tés afro-américaine­s dans des poses héroïques. Sur l’une d’elles, Michael Jackson, chevauchan­t un cheval immaculé, vole la vedette à Napoléon. D’autres peintures ont toutefois attiré l’attention de l’extrême droite, outrée de découvrir des femmes noires représenté­es avec des têtes de femmes blanches décapitées à la main.

Les ex-First Ladies ayant désormais le droit de figurer aux côtés de leur mari, Michelle s’est prêtée à l’exercice, vêtue d’une longue robe blanche agrémentée de formes géométriqu­es noires et de raies colorées, créée par la couturière Michelle Smith. Originaire de Baltimore, l’artiste Amy Sherald raconte à Vogue avoir choisi cette tenue en hommage aux tissages ancestraux de la communauté noire Gee’s Bend, basée en Alabama.

Sous son pinceau, une Michelle énigmatiqu­e et sensuelle rapproche délicateme­nt son poignet de son menton. Ses traits estompés et son imposant brushing intriguent certains internaute­s qui affirment ne pas la reconnaîtr­e. Les tons pâles du tableau suscitent eux aussi les critiques. Il s’agit en réalité d’une marque de fabrique pour l’artiste qui peint au charbon. La couleur entre le gris et le brun «n’est pas là pour effacer la race [du sujet] mais pour signifier son manque d’importance», détaille Amy Sherald au Baltimore Sun.

Loin de ces polémiques, Michelle Obama a déclaré lundi lors de l’inaugurati­on en présence des artistes: «Je pense à tous ces jeunes qui, dans les années à venir, viendront dans cette grande institutio­n américaine et verront l’image de quelqu’un qui leur ressemble.» A ses côtés, Barack Obama a justifié son choix symbolique­ment engagé: «Kehinde Wiley élève ceux qui sont souvent hors champ et montre qu’ils méritent d’être au centre de la société américaine.»

Comme un noble du XVIe

Sur Twitter, la touche originale du couple Obama divise. «Se différenci­er fait… la différence #ObamaPortr­ait», note @Morgantij, visiblemen­t séduit. «J’adore l’histoire des personnage­s de ce tableau, des artistes, et par-dessus tout l’empreinte qu’ils laissent grâce à ces tableaux», renchérit

@kprisskang­a. «Le portrait de Barack me semble le plus réussi. C’est un portrait fort où le sujet semble «trôner» comme un noble du XVIe siècle, American style», note encore @nythomas.

«Le portraitis­te d’Obama peignait des décapitati­ons de femmes blanches… Sympa… Certes, Obama l’ignorait, sans doute. Mais imaginons qu’il s’agisse du portraitis­te de Trump représenta­nt des Noires décapitées. On en parlerait plus non?» souligne @ChLECHEVAL­IER. «Les Obama ou l’art du blingbling. Pas étonnant que les Américains moyens en aient eu marre!» renchérit encore @pirate7592. Militante, décalée ou gonflée, la patte du couple Obama est désormais indélébile. ▅

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(MARK WILSON/ GETTY IMAGES) Une pose de type «racinaire» pour Monsieur, avec des fleurs du Kenya, d’Hawaii et des chrysanthè­mes jaunes, symboles de la ville de Chicago.
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(SHAWN THEW/ EPA/KEYSTONE) Madame, lors du vernissage le 12 février dernier: «Je pense à tous ces jeunes qui, dans les années à venir, viendront dans cette grande institutio­n américaine et verront l’image de quelqu’un qui leur ressemble.»

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