Le logeur de Saint-Denis libéré
La relaxe controversée de Jawad Bendaoud, pourvoyeur du logement utilisé par deux des terroristes du 13 novembre 2015, démontre la complexité du dossier judiciaire
«Il n’est pas prouvé que Jawad Bendaoud a fourni un hébergement à des terroristes.» Avec ces mots, la présidente du Tribunal correctionnel de Paris a enclenché mercredi une polémique assurée d’enflammer le débat politico-médiatique français sur les effets judiciaires des attentats du 13 novembre 2015.
Le fameux «logeur de Saint-Denis», reparti libre à l’issue de l’audience, était jugé depuis le 24 janvier pour «recel de malfaiteurs», après avoir fourni un appartement à Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh, deux membres du commando responsable des tueries sur des terrasses de café parisiennes, après les attentats commis par leurs complices au Stade de France et au Bataclan. Il comparaissait aux côtés de Mohamed Soumah, reconnu coupable d’avoir fait le lien entre lui et les terroristes et condamné à 5 ans de prison avec incarcération immédiate, et de Youssef Aït-Boulahcen, jeune frère de la femme morte aux côtés des terroristes lors de l’assaut policier du 18 novembre 2015, condamné lui à 4 ans de prison.
Pourquoi cette relaxe, dont le parquet parisien a immédiatement fait appel? L’explication plonge au coeur des méandres de la nébuleuse terroriste. Les magistrats français n’ont pas réussi à déterminer si le «marchand de sommeil» Bendaoud, 31 ans, délinquant et trafiquant notoire condamné à de multiples reprises, connaissait l’identité d’Abaaoud (présenté comme l’un des meneurs des commandos) et celle d’Akrouh. Le lien souvent effectué entre criminalité et islamisme radical n’a donc, dans ce cas, pas été retenu. Ce que la municipalité de Saint-Denis a aussitôt dénoncé, estimant que ce verdict «ravive la douleur» causée par les attentats du 13 novembre, avec leurs 130 morts et plus de 400 blessés.
L’autre leçon de ce procès est qu’il faut toujours se méfier des apparences. Délinquant endurci, Jawad Bendaoud avait ces derniers mois défrayé la chronique judiciaire en mettant le feu à sa cellule, clamant son innocence et insultant les magistrats lors d’un autre procès.
Un miroir de l’enquête
Le fait est en revanche qu’il n’avait jamais dévié de sa version, affirmant qu’il ne connaissait pas les deux hommes amenés là par Hasna Aït-Boulahcen, cousine d’Abdelhamid Abaaoud, qu’elle était allée retrouver le 14 novembre dans sa planque, au pied d’une autoroute à Aubervilliers. L’enquête n’ayant pas pu démontrer le contraire, et Bendaoud ayant déjà purgé plus de 2 ans de détention préventive, les juges ont tranché en sa faveur.
L’inverse s’est en revanche produit pour les deux condamnés Mohamed Soumah et Youssef Aït-Boulahcen. Le jeune cousin d’Abaaoud était le seul à comparaître libre au procès et à s’exprimer avec précision. Il n’a toutefois pas réussi à convaincre les juges que les vidéos et les déclarations de Daech retrouvées dans son ordinateur n’avaient rien à voir avec une possible radicalisation. Il lui était en outre impossible, selon les magistrats, d’ignorer que les deux hommes à la recherche d’un logement étaient les auteurs des attentats du 13 novembre.
Le verdict de mercredi est un miroir de l’enquête policière. A l’évidence, les zones d’ombre sont encore nombreuses sur l’étendue des complicités dont ont bénéficié les tueurs entre les sanctuaires de Daech en Syrie, la base arrière bruxelloise des commandos et cette banlieue parisienne où ils croyaient pouvoir se planquer avant de perpétrer d’autres actes terroristes, notamment dans le quartier des affaires de la Défense.
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