CLASSIQUE DANIIL TRIFONOV, VIRTUOSITÉ D’UN POÈTE
Le vrai virtuose est celui qui est poète. Dès les premières notes de son récital lundi soir au Victoria Hall de Genève, le pianiste russe Daniil Trifonov a joué la carte de l’introspection. Ce toucher liquide, aux scintillances veloutées, élastique, sied au premier morceau d’un programme construit autour d’un Hommage à Chopin, avec une première partie nettement plus longue que la seconde.
Auteur de pièces courtes, souvent lapidaires, le compositeur catalan Frédéric Mompou a tissé une série de Variations sur un thème de Chopin. Il y a là un goût de l’épure, des harmonies suspendues, des tensions à petite échelle. Cette oeuvre ménage peu de contrastes et pourtant, Trifonov – très attentif aux sonorités du piano – parvient à faire vibrer le matériau musical. On savoure sa souplesse féline et son toucher tendre, presque immatériel, dans «Chopin» du Carnaval opus 9 de Schumann. L’Etude (Hommage à Chopin) de Grieg anime le mouvement, avant un splendide Nocturne de Samuel Barber aux harmonies audacieuses. Un poco di Chopin de Tchaïkovski est une mazurka charmante, quoique sans plus. Le pianiste russe aborde ensuite les Variations sur un thème de Chopin de Rachmaninov. Un cycle méconnu, dense, assez long lui aussi, mais riche en contrastes. Trifonov en domine la complexe architecture. Son piano est un arc-en-ciel de couleurs. Il y a ces variations fantomatiques au coeur du cycle nimbées d’une tristesse inconsolable. Puis les doigts du virtuose courent sur le clavier à la vitesse de l’éclair. Le retour du thème principal à la fin induit un climat tragique et solennel.
La sonate Funèbre de Chopin – jouée en seconde partie – impressionne par l’engagement physique et émotionnel. Le premier mouvement est fougueux à souhait, quoiqu’un peu précipité par endroits. Le «Scherzo» est démoniaque, ponctué d’une section médiane au «cantabile» admirable. Malgré un tempo très lent dans la «Marche funèbre», le jeune pianiste parvient à maintenir la tension. La profondeur des accords, la longueur des résonances, à une cadence lancinante, créent un effet d’hypnotisation. Il n’y a même plus d’espoir dans la section centrale, aux pâleurs exsangues, comme si la lumière ne pouvait transpercer les ténèbres. Le piano sonne par ailleurs très fort par moments mais jamais dur. Le «Presto» final subjugue par la virtuosité féline.
A 26 ans, Daniil Trifonov prouve qu’il est l’un des grands pianistes de sa génération. Si ses partis pris peuvent étonner parfois (jusque dans la composition du programme), c’est une voix de poète qui parle.
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