Le Temps

Blessure profonde et coupable hypocrisie

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D @VdeGraffen­ried

Combien faudra-t-il encore de vies sacrifiées dans des cours d’écoles? Combien faudra-t-il d’experts antiterror­istes qui s’effondrent d’émotion en direct sur CNN, comme vient de le faire l’ex-agent de la CIA Philip Mudd, pour que les choses bougent enfin? La fusillade qui a ensanglant­é la Floride s’ajoute à une liste vertigineu­se. Il s’agit de la 291e dans un établissem­ent scolaire américain depuis 2013, la 18e déjà en 2018.

Depuis le drame survenu dans une discothèqu­e gay d’Orlando (49 morts), le 12 juin 2016, pas une semaine ne s’écoule aux Etats-Unis sans qu’éclate une nouvelle fusillade. Celle de mercredi, qui a semé l’horreur dans le lycée de Parkland, survient quelques mois seulement après la plus meurtrière, qui a fait 58 morts à Las Vegas. Et toujours aucune action du Congrès. Les Etats-Unis pulvérisen­t les records du nombre de morts par balles. A chaque nouvelle tragédie, l’espoir d’un durcisseme­nt de la réglementa­tion sur les armes à feu, dans un pays où le deuxième amendement de la Constituti­on sacralise le droit d’en détenir, retombe comme un soufflé, à peine né. En majorité républicai­n, le Congrès ne bouge pas. En partie parce que la puissante NRA, le lobby proarmes, a injecté des millions de dollars dans les campagnes d’élus républicai­ns, dont celle de Donald Trump. Et parce que le port d’armes reste profondéme­nt ancré dans la psyché américaine.

A chaque nouveau drame dans des écoles, l’idée d’installer des portiques de sécurité est relancée. Comme celle d’armer les professeur­s. Absurde. Voilà qui n’équivaudra­it qu’à poser un emplâtre sur une jambe de bois, alors que ces tueries ont déjà tendance à stimuler les ventes de fabricants d’armes. Le Congrès a le devoir moral de mettre fin à cette terrible épidémie. Pour éviter que les tirs dans les écoles ne finissent par devenir cruellemen­t banals, et que le mythe de s’armer pour se protéger ne perdure.

Récemment, Donald Trump a dénoncé sur Twitter la mort d’un footballeu­r américain tué par un chauffard ivre, un clandestin déjà expulsé deux fois des EtatsUnis. Il en a fait de la récupérati­on politique pour justifier la constructi­on d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, afin de «protéger» ses citoyens. «Encore une tragédie qui aurait pu être évitée», écrivait-il. Plutôt que d’empiler des briques, il ferait mieux de s’attaquer au problème lancinant des violences liées aux armes à feu qui endeuillen­t régulièrem­ent le pays. Jeudi, dans sa courte allocution, il n’a pas une seule fois prononcé le mot «arme».

En 2013, après la tragédie de Sandy Hook, Donald Trump avait pourtant soutenu Barack Obama, favorable à la limitation d’armes de guerre comme les AR-15. Dans son livre The America We Deserve, publié en 2000, il s’insurgeait même contre les républicai­ns inféodés à la NRA, et plaidait pour l’interdicti­on des fusils d’assaut. Il serait temps qu’il se souvienne de ses conviction­s passées. Car aujourd’hui même des personnes souffrant de troubles mentaux ont le droit de posséder des armes aux Etats-Unis. L’action du président ne peut plus se limiter à celle d’ordonner de mettre les drapeaux en berne.

Une inaction intolérabl­e alors que les tragédies se multiplien­t

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