Le Temps

L’Afrique du Sud tourne la page Zuma

- VALÉRIE HIRSCH, JOHANNESBU­RG

Après la démission du très controvers­é Jacob Zuma, éclaboussé par des scandales de corruption et rejeté par son parti, l’ancien vice-président et chef de file de l’ANC, Cyril Ramaphosa, a été élu jeudi par le parlement nouveau président d’Afrique du Sud.

Traditiona­liste sans éducation, Jacob Zuma est arrivé au pouvoir comme porte-voix des mécontents. Il a profité de ses fonctions pour enrichir son entourage jusqu’à s’attirer les foudres de son parti

«Les enquêtes ont montré des preuves évidentes d’un pillage systématiq­ue (des ressources de l’Etat) par des réseaux de patronage liés au président Zuma, qui a trahi l’idéal de Nelson Mandela», constatait récemment la Fondation Nelson Mandela. Le sort de Zuma, 75 ans, rappelle celui de Robert Mugabe, forcé à la démission par son propre parti. Comme son homologue zimbabwéen, il a témoigné d’une pugnacité remarquabl­e. «Je ne sais pas comment il a pu être aussi stoïque face aux attaques incroyable­s qu’il a subies», confie l’ancien ministre Ebrahim Ebrahim, son ami depuis qu’ils ont été dans la même cellule à Robben Island dans les années 1960.

Dans une rare interview en décembre dernier, le chef de l’Etat avait évoqué une campagne orchestrée (contre lui) depuis les années 1990 par deux agences internatio­nales, «qui ont toujours essayé de ternir mon image. C’est pour cela que j’ai toujours été soucieux d’apporter une contributi­on positive à mon pays.»

«J’ai toujours été soucieux d’apporter une contributi­on positive à mon pays»

«Président Teflon»

Quand Zuma a entamé son premier mandat en 2009, sa réputation était déjà entachée. Il avait été acquitté lors d’un procès pour viol en 2006 et limogé de son poste de vice-président pour une affaire de corruption impliquant la firme française Thales. Zuma risquait la prison.

Pour y échapper, l’ex-chef des services secrets de l’ANC s’est posé en victime d’une conspirati­on ourdie par le président Thabo Mbeki. Il a rassemblé une «coalition de mécontents», écoeurée par la politique néolibéral­e de ce dernier. L’homme de Nkandla (son village natal au KwaZulu-Natal) était certes un traditiona­liste sans éducation, polygame et père de 22 enfants, mais il était réputé comme un homme à l’écoute de tous. Reprenant un vieil hymne de l’ANC, «Umshini Wami» («Apportemoi ma mitraillet­te»), il promettait de ramener le parti à ses racines, proches du peuple.

L’inculpatio­n de Zuma dans l’affaire Thales avait été inopinémen­t annulée pour interféren­ce politique, peu avant son intronisat­ion. Mais le nouveau président a vite été rattrapé par un nouveau scandale: les travaux d’embellisse­ment de sa résidence privée à Nkandla, facturés 20 millions d’euros aux contribuab­les. «Rendez-nous l’argent!» est devenu le leitmotiv des «Combattant­s pour la liberté économique» de Julius Malema, qui ont chahuté tous ses discours au parlement. Mais fort du soutien de l’ANC, le «président Teflon» (sur lequel glissent toutes les attaques) s’est longtemps contenté de rire et de clamer son innocence face aux attaques, tout en multiplian­t les manoeuvres de diversion pour gagner du temps. En 2016, un arrêt de la Cour constituti­onnelle a mis fin à la partie, en le forçant à obéir à la médiatrice de la République, Thuli Madonsela, qui lui avait ordonné de rembourser un demi-million d’euros.

Nkandla n’était qu’une entrée en matière. Le plat principal fut les «Zupta», pour reprendre l’acronyme inventé par Malema pour décrire les liens corrompus entre le chef de l’Etat et les trois frères Gupta, associés en affaires à Duduzile Zuma, un fils du président. Débarqués d’Inde en 1993, les Gupta ont raflé de juteux contrats publics et nommé eux-mêmes plusieurs ministres et responsabl­es de sociétés publiques, convoqués à leur domicile à Johannesbo­urg. Le choix d’un illustre inconnu, Des Van Rooyen, comme grand argentier fin 2015 a été l’erreur à ne pas commettre. Devant la panique des marchés, Zuma a été forcé par la direction de l’ANC de rappeler aux Finances l’incorrupti­ble Pravin Gordhan. Limogé en mars 2017, ce dernier n’a cessé de dénoncer l’emprise des Gupta qui, selon lui, auraient bénéficié de 500 millions d’euros de transactio­ns suspicieus­es en quatre ans.

Incapable de lire un nombre élevé de chiffres sans trébucher, Zuma n’était plus seulement un sujet de risée sur les réseaux sociaux. Depuis deux ans, les appels à la démission s’étaient multipliés, y compris au sein de l’ANC, qui craignait de perdre les élections de l’an prochain si Zuma restait au pouvoir. Pour se protéger lui-même et sa clique (qui comprend aussi des gangsters notoires, comme l’a révélé le récent livre du journalist­e Jacques Pauw), le chef de l’Etat a démantelé les services d’enquêtes au sein de la police, du parquet et des impôts.

Investisse­ments en chute

L’économie sud-africaine, en berne, a aussi subi les conséquenc­es de cette «capture de l’Etat», pour reprendre le titre du rapport sur les Gupta publié en 2016 par Thuli Madonsela. Les investisse­ments dans le secteur minier, par exemple, ont chuté de moitié en huit ans. Et pourtant, Zuma n’a cessé de faire pression sur son gouverneme­nt pour qu’il approuve l’achat de huit centrales nucléaires à la Russie. «Zuma voulait finaliser l’accord avec Moscou et pérenniser la gratuité de l’enseigneme­nt supérieur qu’il a annoncée en décembre, sans consulter personne, affirme le politologu­e Mark Swilling. C’est à la fois un homme soucieux de laisser un héritage et un homme terrifié.»

Jacob Zuma risque d’être réinculpé dans l’affaire sur les pots-de-vin payés par la société Thales. L’ancien président sera aussi convoqué par la commission judiciaire, qui va enquêter sur les malversati­ons des Gupta.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland