La poudrière syrienne
La guerre en Syrie déborde de ses frontières régionales. Etat des lieux en trois tableaux d’un conflit qui menace l’équilibre mondial
CHERCHEUR AU CARNEGIE ENDOWMENT FOR INTERNATIONAL PEACE
Pour Joseph Bahout, chercheur invité au Carnegie Endowment for International Peace, le développement de la guerre syrienne signale un retour au langage de la force dans les relations internationales
En l’espace de quelques jours, le conflit syrien semble avoir changé de proportions… Ces batailles qui s’annoncent étaient en vérité complètement prévisibles et, de fait, ont été effectivement abondamment prévues. L’unanimisme de façade qui consistait à dire que le seul mal de la région était représenté par l’organisation de l’Etat islamique (ISIS) n’était qu’une sorte de cachesexe, ce qui permettait de passer sous silence les dynamiques qui se développent aujourd’hui.
Concrètement? Nous en sommes au début de la troisième phase de la guerre syrienne, dont les étapes précédentes ont été la révolution et le combat mené contre un régime sanguinaire, puis la lutte contre ISIS, précisément.
Ces questions ne sont pas résolues, mais elles sont presque devenues annexes dans cette troisième phase qui consiste en un dépeçage de la Syrie en diverses zones d’influence: la Turquie au nord, la Russie au nord-ouest et au centre, puis au sud un terrain qui reste en partie à conquérir et où les risques sont peut-être aujourd’hui les plus importants.
Comment évaluez-vous ces risques? La question est de savoir comment ces différents intérêts vont s’articuler. Est-ce le prélude à un grand règlement régional ou sommes-nous au contraire à la veille d’une grande conflagration qui pourrait s’étendre en direction de l’Iran ou des pays du Golfe, par exemple? Pour ma part, je ne crois pas beaucoup à la théorie du grand règlement général, mais plutôt à un retour des tensions internationales. La Russie se montre de plus en plus affirmative, tandis que les Etats-Unis, sans disposer vraiment d’une stratégie, ne veulent rien lâcher. Reste encore l’Iran, qui est au coeur du problème et qui a acquis une quasi-hégémonie, de Téhéran au Liban. La question est de savoir s’il sera possible de trouver un modus vivendi qui légitimerait cette hégémonie. Mais je vois mal comment des pays comme la Turquie, l’Arabie saoudite ou Israël s’en accommoderaient. Tous ces enjeux dépassent largement le cadre syrien… La question syrienne, et notamment celle du maintien de Bachar el-Assad en tant que président omniprésent ou au contraire comme simple pantin, continue de se poser. Mais la Syrie est devenue avant tout la scène de projection de guerres multidimensionnelles. C’est une simple boîte postale, si vous voulez, comme l’a été le Liban en son temps mais aussi, on l’oublie souvent, comme le fut déjà la Syrie au cours des épisodes de la Guerre froide.
On revient à des choses connues et très anciennes. Nous sommes déjà entrés dans ce conflit, mais chacun essaie de le garder gérable et il se déroule donc à fleurets mouchetés. Ce qui est frappant, c’est de constater que le langage de la force et la brutalité restent au coeur des relations internationales. Il s’agit d’un élément qu’on ne voulait pas voir, qu’on croyait dépassé.
Or les Russes ont montré que l’usage de la force continue de payer, puisqu’elle leur a permis de changer la donne. La Turquie fait la même chose aujourd’hui, et les Israéliens pourraient décider d’y aller à leur tour. C’est la grande leçon à retenir pour les Occidentaux qui, dès 2013, ont plié une fois pour toutes lorsque Bachar el-Assad s’est mis à les tester en utilisant des armes chimiques.
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