Susanne Ruoff, la confiance sans le bonus
La directrice générale de La Poste reste en place, mais la part variable de son salaire est gelée. Le président du conseil d’administration Urs Schwaller fait appel à des experts externes de renom pour faire la lumière sur cette affaire de transferts comptables illicites
Dirigée contre inconnu, la plainte pénale déposée mercredi par l’Office fédéral des transports (OFT) auprès des Ministères publics de la Confédération et du canton de Berne peut viser de nombreuses personnes. On pense en premier lieu à l’ancien directeur de CarPostal Suisse, Daniel Landolf, et à son chef des finances, mais elle pourrait aussi monter haut dans la hiérarchie de La Poste et toucher la directrice générale Susanne Ruoff, l’ancien chef des finances du groupe Pascal Koradi, d’anciens directeurs, l’ancien président du conseil d’administration Peter Hasler. Son successeur Urs Schwaller, élu en avril 2016, a rappelé jeudi que la présomption d’innocence prévalait pour tout le monde.
On se demande aussi à Berne si la responsabilité de l’autorité de surveillance, qui est l’OFT, n’est pas également engagée. L’article 37 de la loi sur le transport des voyageurs définit ses droits, mais aussi ses devoirs. Il dit ainsi que «l’OFT vérifie périodiquement ou en fonction des besoins si les comptes sont conformes aux dispositions légales et aux conventions sur les contributions et les prêts des pouvoirs publics qui en découlent. L’examen des comptes par l’autorité de surveillance sous l’angle du droit des subventions complète le contrôle du service de révision de l’entreprise.» Le cas de CarPostal est particulier, car il s’agit d’une entité d’un groupe plus grand dont l’activité principale ne concerne pas la mobilité. L’OFT a toujours considéré – et rappelé à La Poste – qu’il n’était pas possible de dégager des bénéfices dans le transport de voyageurs subventionné. Mais la question qui se pose est de savoir s’il n’aurait pas dû se montrer plus curieux.
«Les contrôles n’ont pas fonctionné»
En l’état, le conseil d’administration ne voit aucune raison de suspendre ou d’écarter Susanne Ruoff. «Il lui exprime sa confiance. Elle se concentrera sur la gestion opérationnelle du groupe et se tiendra à la disposition des autorités d’enquête. Des décisions ne pourront être prises que lorsque leurs conclusions seront connues», insiste Urs Schwaller, qui espère obtenir les premiers éléments d’ici au mois de mai. Susanne Ruoff renonce cependant à toucher son bonus 2017 «jusqu’à ce que les responsabilités soient établies». Ces deux dernières années, la part variable de son salaire représentait environ 320000 francs, une somme qui s’ajoutait à ses 610000 francs de revenu fixe et à différents frais. Au total, elle a touché 984000 francs en 2015 et 974000 francs en 2016. Les membres de la direction de CarPostal ne recevront pas non plus leur bonus jusqu’à ce que les responsabilités soient établies. Le rapport de gestion 2017, qui sera publié le 8 mars, en tiendra compte. Il intégrera aussi le remboursement de 78,3 millions de subventions touchés en trop par CarPostal entre 2007 et 2015.
Pour le chef du groupe parlementaire socialiste Roger Nordmann, l’un des premiers à avoir estimé que Susanne Ruoff ne pouvait pas rester, ces «non-décisions» ne dissipent de loin pas «le malaise, au contraire». «La suspension du bonus montre la perversité de ce système de rémunération dans le service public», ajoute-t-il. Sans se prononcer sur les responsabilités de quiconque, Urs Schwaller doit bien admettre que «les contrôles n’ont pas fonctionné». Il dit n’avoir été informé de l’affaire que lorsqu’il a pris connaissance du rapport accusateur de l’OFT l’automne dernier. Le conseil d’administration a ensuite fixé à la direction de La Poste un délai à fin janvier pour se déterminer. Le rapport a été publié le 5 février.
Le conseil d’administration a donné mandat à un groupe de travail composé de spécialistes internes et d’experts indépendants externes de faire la lumière sur cette affaire. Le bureau d’avocats Kellerhals Carrard et l’auditeur EY en font partie. Ils rapporteront directement à Urs Schwaller. Le Fribourgeois précise que les écritures litigieuses seront enregistrées dans une banque de données qui sera mise à la disposition des autorités judiciaires. A ce jour, 300000 quittances, e-mails ou autres documents ont été saisis.
En parallèle, l’ensemble de la gouvernance de CarPostal, le concept de facturation et les nouvelles structures entrées en vigueur en 2016 seront passés au scanner. Si de nouvelles opérations litigieuses devaient apparaître pour les années 2016 et 2017 comme le subodore l’OFT, elles seront ajoutées à l’enquête. L’objectif de rendement de CarPostal, qui est l’une des causes des subterfuges comptables appliqués pendant des années, sera adapté pour l’exercice 2018 et aucun objectif EBIT (résultat avant intérêts et impôts) ne sera exigé. Lancée avant l’éclatement de l’affaire, la recherche d’un nouveau directeur pour CarPostal se poursuit, relève encore Urs Schwaller. «Le chemin est encore long pour rétablir la confiance», dit-il encore. En fait de chemin, il s’agit plutôt d’une étroite route de montagne très accidentée.
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A ce jour, 300000 quittances, e-mails ou autres documents ont été saisis