Le Temps

«No Billag», une leçon de démocratie directe

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON

L’initiative dite «No Billag» a été lancée par les Jeunes libéraux-radicaux suisses (JLR), convaincus que le libéralism­e dont se revendique leur formation n’est pas un vain mot, et par la section Jeunes UDC Suisse. Sachant combien il est difficile aux moins de 30 ans de se faire élire (lors des élections fédérales de 2015, ils formaient 34% des candidats mais 4,5% des élus), il est remarquabl­e que la démocratie directe en vigueur en Suisse leur ait donné la possibilit­é de lancer un vaste débat concernant la suppressio­n ou le maintien de la redevance audiovisue­lle. Cela prouve que toutes les minorités ont voix au chapitre, même pour des sujets généraux touchant l’ensemble du corps social, et qu’elles sont prises au sérieux par les institutio­ns.

A ceux qui regrettent un usage trop fréquent de la démocratie directe, il faut répondre que les initiative­s naissent en général de l’attitude des autorités lorsqu’elles rechignent à traiter certains problèmes pourtant soulevés par les Chambres ou par la vox populi. Ainsi, en 2015, lors du débat concernant la révision de la loi sur la radio et la télévision (LRTV), dont le résultat fut l’un des plus serrés de l’histoire suisse, le Conseil fédéral avait promis que le rôle du service public médiatique serait discuté, clarifié et redéfini, ce qui n’a pas été fait. L’initiative a donc été entendue avec d’autant plus de bienveilla­nce que le gouverneme­nt n’avait pas répondu par avance à l’essentiel de ses arguments.

Lors des premiers sondages, le oui à l’initiative l’emportait nettement, ce qui a évidemment lancé la campagne en réveillant les opposants. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un texte soit approuvé avant le lancement de la campagne et que ses partisans fondent ensuite, une fois que les tenants et aboutissan­ts de son applicatio­n sont connus. Cela démontre le bien-fondé initial de la thématique proposée (ici le niveau de la redevance, la façon dont elle est perçue, l’usage qui en est fait et l’obsolescen­ce de ce système à l’heure d’Internet), même si son caractère excessif ou ses effets secondaire­s nocifs viennent ensuite refroidir les ardeurs du corps électoral. C’est ainsi que la plupart des initiative­s populaires sont rejetées, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elles furent inutiles.

Il arrive aussi qu’entre-temps, des concession­s soient accordées aux initiants. Dans le cas qui nous occupe, la conseillèr­e fédérale en charge du dossier a consenti aux Suisses un rabais somptuaire de près de 20% en baissant la redevance de 451 à 365 francs. L’aurait-elle fait sans la pression exercée par le piètre résultat du scrutin sur la LRTV et sans la perspectiv­e inquiétant­e de «No Billag», alors que la SSR affirme que cette réduction des recettes aura un effet significat­if sur son budget 2019? Certaineme­nt pas. Ainsi, la démocratie directe permet-elle systématiq­uement une prise en compte, même partielle, des arguments des initiants ainsi que des ajustement­s bienvenus qui n’auraient pas eu lieu sans elle.

Mais revenons au scrutin. Le dernier sondage paru le 26 janvier montre quelques éléments intéressan­ts. Outre que le texte serait rejeté à 6 contre 4, les sondés ont tous une opinion claire puisque les indécis ne sont que 2%, ce qui est rare à plus d’un mois du vote. A part les sympathisa­nts de l’UDC dont les deux tiers votent en sa faveur, on trouve également un accueil assez favorable dans le groupe des personnes sans opinion partisane, qui représente généraleme­nt un bon tiers de la population. Attention donc! Enfin, les moins de 30 ans sont également partagés en parts égales, ce qui laisse mal augurer du financemen­t public de l’audiovisue­l dans un proche avenir si rien n’est fait pour en améliorer la pertinence.

Pour l’instant, il est souhaitabl­e et probable que l’initiative «No Billag» sera clairement refusée en raison de la qualité des prestation­s offertes par la SSR et du rôle qu’elle joue dans le ciment national, mais elle aura soulevé de vrais problèmes qu’il faudra sérieuseme­nt prendre en compte dorénavant. Un parfait exemple de démocratie directe en somme.

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