La transparence des salaires est-elle vraiment une bonne idée?
Alain Berset souffre-t-il de troubles dissociatifs de l'identité? Cette question iconoclaste et irrévérencieuse fut provoquée par la contiguïté fortuite de deux interventions récentes de notre président: son appel à Roger Federer pour le féliciter de sa victoire à l'Open d'Australie et ses déclarations sur les salaires à plus de 1 million de certains médecins spécialistes.
Difficile de voir le lien? Explication: comment la même personne peut-elle s'offusquer que des médecins qui sauvent ou réparent des vies tous les jours gagnent trop d'argent et en même temps porter aux nues un joueur de tennis qui vient d'empocher 3 millions de francs en tapant dans une balle pendant deux semaines?
Salaire juste
Au-delà de la provocation, cette anecdote nous offre d'abord à réfléchir sur la notion du salaire juste. S'il est facile de dire que 1 million pour un médecin, c'est trop, quel montant serait adéquat? Personne n'articule de chiffre parce qu'on en est bien incapable. Pourquoi une infirmière, un éboueur, un mécanicien gagnent-ils moins qu'un trader, un joueur de foot ou un juriste? Ce n'est pas une question d'études, ou d'impact sur nos vies, mais le résultat d'arbitrages complexes basés sur notre système de valeurs économiques. Le plus dangereux dans ce débat est pourtant ailleurs: on veut nous faire croire que ceux qui gagnent beaucoup sont des voleurs. Dans notre système sociolibéral solidaire, les bénéficiaires des salaires les plus élevés sont aussi ceux qui reversent le plus d'argent à nos institutions (impôts, AVS, caisse de pension), ce dont nous profitons tous.
Penchons-nous aussi sur l'argument populiste maintes fois entendu: «Il faut que les médecins publient leur salaire.» Le simple fait d'afficher les rémunérations va-t-il curer tous nos maux? Nombre d'études ont été effectuées sur l'impact de la transparence des salaires. Ce fut le cas en France avec l'obligation de publier, dès 2001, les rémunérations du top management des grandes entreprises. Les conséquences: une baisse régulière de la dispersion des salaires, à savoir moins d'écart entre les salaires les plus hauts et les salaires les plus bas.
Bonne nouvelle? Pas vraiment, car on observe aussi une hausse concomitante et importante des salaires médians: 30% en quatre ans dans le cas français! Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont donc pas les hauts salaires qui se réduisent, mais bien les salaires moyens et bas qui sont aspirés vers le plafond, comme aimantés par ces étalons de référence que sont les hauts salaires.
Pas sûr donc que publier les salaires soit une bonne idée pour réduire les coûts de la santé. Mais en attendant, et pour nos élus chantres de la transparence, pourquoi ne montreraient-ils pas l'exemple en publiant tous leurs revenus? Si notre théorie est correcte, ils en seront les premiers bénéficiaires!
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