Le Temps

Un blockbuste­r controvers­é met le feu à l’Inde

- NICOLAS DUFOUR, BOMBAY @NicoDufour

Sorti fin janvier, le film historique «Padmaavat» s’est attiré les foudres des musulmans et de certains hindous. C’est l’un des plus gros budgets, et d’ores et déjà l’un des plus gros succès, de Bollywood. Nous l’avons vu à Bombay

C'est l'un des films indiens les plus chers de l'histoire, et même le plus onéreux en langue hindi. Sorti fin janvier, Padmaavat rafle la mise au box-office indien ces jours, malgré les boycotts communauta­ires et régionaux. Car ce film réussit à s'attirer les foudres des musulmans autant que celles de nombreux hindous. Un record d'animosité dans un pays qui peut être vu comme un miracle de multicultu­ralisme, ou comme une poudrière religieuse.

Inspiré par les textes d'un poète soufi de 1540, Padmaavat raconte l'histoire d'une princesse rajput du XIIIe siècle. Les Rajputs forment la population majeure de plusieurs régions du nord du pays, dont l'actuel Etat du Rajasthan.

Une princesse volage?

Padmaavati tombe amoureuse d'un jeune homme qui devient maharadja. Mais elle est aussi convoitée par un sultan du nord-ouest, l'actuel Afghanista­n. Lequel ne recule devant aucune violence pour parvenir à ses fins, au point de prendre d'assaut la citadelle du couple hindou. Ultime acte de désespoir, la princesse et les femmes du château finiront par s'immoler par le feu.

Avant même de sortir sur les écrans, Padmaavat a déchaîné les passions. Les musulmans fustigent le traitement infligé au personnage du sultan. Les descendant­s des Rajputs protestent contre la représenta­tion de la princesse, jugée dévergondé­e. Et pour compléter le tout, des moderniste­s estiment que le film se révèle honteuseme­nt patriarcal, dans son portrait de l'héroïne.

L'un des plateaux de tournage dans le Rajasthan a été vandalisé. Le réalisateu­r Sanjay Leela Bhansali, naguère auteur de Devdas,a été agressé puis menacé de mort. Menaces aussi à l'égard de l'actrice vedette Deepika Padukone – au reste, toujours aussi charmante que depuis Om Shanti Om il y a dix ans.

Avant la sortie du film, d'abord prévue en décembre, des émeutes parfois violentes ont éclaté dans plusieurs villes. L'affaire s'est politisée, en particulie­r quand des membres du BJP, parti de centre droit nationalis­te hindou au pouvoir, ont appelé au boycott du film. Les élections fédérales ont lieu dans une année.

Le film a été acheté pour une diffusion cinéma mondiale par Paramount et a été acquis par Amazon pour le streaming. On a vu Padmaavat dans un cinéma de Bombay un vendredi soir. Une salle bien remplie mais pas pleine, fréquentée par toutes les génération­s, des nourrisson­s moyennemen­t attentifs aux aînés passionnés. Le film, de près de trois heures, paraît plus bavard que la moyenne bollywoodi­enne. En dépit de son budget historique, il souffre de certains effets spéciaux un brin cartoons. Et en effet, le sultan est caricaturé dans le registre diablotin sur ressort, sans aucune nuance.

Un final glaçant

On voit par ailleurs une belle histoire d'amour – certaineme­nt pas mâlo-centrée, le maharadja est en adoration constante et l'héroïne est tout sauf bécasse. En sus, la superbe musique générale de Sanchit Balhara (les chansons, elles, sont du réalisateu­r) conduit à un final glaçant et inoubliabl­e.

Dans une longue interview à l'Hindustan Times il y a quelques jours, Sanjay Leela Bhansali s'est dit «vidé, exténué. Tout mon corps me fait mal, même mes cheveux. Mais je suis content. J'aurais juste voulu un peu plus d'amour dans toute cette aventure. Je suppose qu'avoir eu moins d'amour qu'espéré m'a rendu meilleur réalisateu­r…» En tout cas, le triomphe est assuré.■

L’un des plateaux de tournage a été vandalisé. Le réalisateu­r Sanjay Leela Bhansali a été agressé puis menacé de mort

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