Le Temps

Derrière le doublé romand en slopestyle, une histoire de fun avant tout

La Genevoise Sarah Höfflin et la Gruérienne Mathilde Gremaud ont signé le premier doublé romand de l’histoire des JO lors du slopestyle, samedi. C’est plus que l’addition de deux médailles: chacune des deux filles a nourri la performanc­e de l’autre

- LIONEL PITTET, PYEONGCHAN­G @lionel_pittet

Sarah Höfflin et Mathilde Gremaud n’ont ni le même âge, ni le même parcours. Pendant leurs derniers mois de préparatio­n pour les Jeux olympiques de Pyeongchan­g, elles étaient deux jeunes filles aux trajectoir­es parallèles. Dans les airs, à enchaîner les figures au-dessus des barres de slide et des tremplins de Bokwang Phoenix Park, elles étaient encore seules, chacune tout à sa performanc­e. Mais leurs résultats brillants les ont réunies. Le soir venu, elles étaient côte à côte sur le podium de la Medals Plaza de Pyeongchan­g. Puis face aux nombreux journalist­es. Et enfin devant le public constitué pour elle à la Maison suisse. Ensemble c’est tout.

La Genevoise de 27 ans et la Gruérienne de 18 ans ont réalisé le premier doublé romand de l’histoire des Jeux olympiques. L’exploit reste rare même à l’échelle nationale: la Suisse n’en a fêté jusqu’ici que 9 en 23 éditions des joutes hivernales. Il y a eu Bernhard Russi et Roland Collombin en descente à Sapporo (1972), Pirmin Zurbriggen et Peter Müller lors de la même épreuve à Calgary (1988) ou encore les frères snowboarde­urs Philipp et Simon Schoch en géant parallèle à Turin (2006). Comme lors de ces inoubliabl­es précédents, le doublé de Sarah Höfflin et Mathilde Gremaud est un peu plus que l’addition de deux résultats individuel­s. «Ma médaille d’or, j’aimerais pouvoir en donner une tranche à Mathilde. Car sans elle, je ne serai pas championne olympique», estime l’aînée du duo.

Totalement désinhibée

Au matin de l’épreuve, sa cadette n’était pas sûre de pouvoir participer. La veille, une grosse chute sur la tête à l’entraîneme­nt l’avait conduite à l’hôpital et dans le doute. Quand, après un dernier test neurologiq­ue, elle a reçu le feu vert du docteur German Clenin, elle avait déjà gagné. Dès son premier run, totalement désinhibée, elle a «envoyé du lourd» et reçu la belle note de 88 sur 100. «Notre doublé est une surprise, mais si toutes les favorites nous ont laissé la réaliser, c’est grâce à Mathilde qui a d’entrée mis une grosse pression sur tout le monde», relève Sarah Höfflin.

La première championne olympique romande depuis Madeleine Berthod (médaillée d’or en descente en 1956), elle aussi, bien sûr, a vu les «tricks de fou» réussis par sa compatriot­e. Mais elle a l’habitude. Et cela la stimule. Entre les deux filles, le challenge est permanent. «Mathilde est une athlète incroyable, continue la Genevoise. Souvent, je la vois réaliser des figures et j’ai juste envie de faire aussi bien qu’elle.» L’intéressée répond presque par la même phrase. L’influence est réciproque.

L’une n’est pourtant pas l’autre. Il y a compétitio­n sur la piste. Il y a débat en dehors. «Ce qui est génial, c’est que nous ne sommes pas souvent d’accord, se marre Mathilde Gremaud. Sur plein de sujets, nos points de vue divergent. Cela nous fait avancer.» Les neuf ans d’âge qui les séparent n’y sont pas étrangers. «Sarah a une expérience de la vie, reprend la jeune Gruérienne. Moi, ces JO, c’est le premier gros truc de la mienne. Je suis encore à l’école… Elle, en revanche, a vécu plein de choses, elle a fait des études, de la musique, et elle nous en fait profiter.»

Pour Misra Noto Torniainen, leur entraîneur, les différence­s entre ses deux protégées nourrissen­t leur complément­arité. «L’une a le recul de l’âge, l’autre la folie de la jeunesse, et je pense qu’au final, elles se retrouvent à mi-chemin.» L’ancien spécialist­e de ski acrobatiqu­e insiste sur l’importance du travail d’équipe dans un sport individuel comme le slopestyle. «En se côtoyant, elles se tirent vers le haut. Dans cette optique, il est aussi primordial, à mes yeux, qu’elles s’entraînent en commun avec les hommes. Cela leur permet de voir ce qu’il est possible de réaliser et de ne se fixer aucune limite.»

Car côté masculin aussi, l’équipe de Suisse avait des arguments à faire valoir à Phoenix Bokwang Park. Mais le grand espoir Andri Ragettli n’a pu prendre que le septième rang. Dommage: en qualificat­ions, il avait «plaqué» un run crédité de la note exceptionn­elle de 95 qui lui aurait valu, s’il l’avait réédité en finale, la médaille d’or. Elias Ambühl et Jonas Hunziker ont, eux, terminé neuvième et dixième sans montrer de quoi ils étaient vraiment capables. Ils peuvent se consoler en se disant que les médailles des deux filles leur appartienn­ent aussi un peu. «Oui, ma médaille, il faudrait la découper en beaucoup de morceaux», sourit une Sarah Höfflin très décidée à considérer sa récompense comme un gâteau. Elle fait la liste des invités: ses proches, le staff de l’équipe nationale, ses coéquipier­s…

Epreuves personnell­es

Mais davantage encore que des gens, il y a, au coeur de la réussite des «freeskieus­es» suisses, une notion primordial­e: le plaisir. Au soir de sa victoire sur le 15 kilomètres en style libre, le fondeur Dario Cologna avait dit que sa médaille d’or représenta­it avant tout «beaucoup de dur labeur réparti sur de longues années». Le slopestyle, c’est aussi du travail, mais les athlètes donnent l’impression d’aller à la mine en sifflotant. Plutôt comme les sept nains de Blanche-Neige que comme Toussaint Maheu dans Germinal. «La base de tout, c’est le fun. On s’amuse beaucoup ensemble, tout le temps. Nous avons créé une bulle de plaisir qui aide chaque athlète à réaliser de grandes choses», lance Misra Noto Torniainen.

Avant de se retrouver ensemble dans le cocon de l’équipe nationale aux JO, Sarah Höfflin et Mathilde Gremaud n’ont pourtant pas été épargnées par les épreuves personnell­es. La première rêvait de devenir médecin. Mais la compétitio­n universita­ire ne lui a pas souri. Elle s’est rabattue sur des études de neuroscien­ces, à Cardiff, tout en affirmant son goût pour les sports freestyle. Dans ces discipline­s qui couronnent depuis une semaine des champions de moins de 20 ans, elle fait figure d’ancienne à 27 ans. «Mais je suis jeune dans mon sport», sourit-elle. Ce n’est qu’en 2015 que Misra Noto Torniainen l’a repérée lors d’une compétitio­n à Val Thorens et l’a intégrée au cercle très fermé de ses protégées. Bon choix. L’hiver dernier, elle s’adjugeait le globe de cristal en Coupe du monde de slopestyle. Fin janvier, elle remportait les prestigieu­x X-Games d’Aspen en big air. Et au terme d’un développem­ent bien mené, la voilà médaillée d’or aux JO.

Sarah Höfflin (27 ans), à gauche, et Mathilde Gremaud (18 ans) ont su s’influencer pour le meilleur: la première a récolté l’or, la seconde l’argent.

«Vivre avec les tricks»

«Il y a un bon niveau général du freeski en Suisse, mais nous préférons nous concentrer sur quelques athlètes pour leur offrir des conditions de progressio­n idéales», reprend l’entraîneur. Et Mathilde Gremaud a bien eu besoin d’un suivi personnali­sé pour atteindre le podium des Jeux. Au printemps dernier, elle a dû se faire opérer du ligament croisé antérieur du genou droit. Immédiatem­ent, un plan précis est établi pour qu’elle soit sur pied et en pleine possession de ses moyens en Corée du Sud.

Au menu, beaucoup de visualisat­ion «pour vivre avec les tricks», dit Misra Noto Torniainen, des discussion­s régulières, une rééducatio­n proactive. Au moment de s’élancer, sur les obstacles de Phoenix Bokwang Park, la Gruérienne n’a pas terminé une compétitio­n de haut niveau depuis onze mois. Mais elle est prête. «C’est facile de dire ça maintenant vu les circonstan­ces, rigole le coach, mais je crois qu’on peut dire que notre plan a fonctionné!»

Quand Sarah Höfflin s’est élancée pour la troisième et dernière fois de la finale, c’est toujours Mathilde Gremaud qui emmenait le classement général. Mais les prouesses de la Gruérienne avaient suffisamme­nt inspiré la Genevoise pour qu’elle lui chipe l’or. Sans rancune? «Sarah est ma collègue, mon amie, ma grande soeur. Je suis tellement contente qu’elle ait gagné!»

«Il est primordial qu’elles s’entraînent en commun avec les hommes. Ça leur permet de voir ce qu’il est possible de réaliser et de ne se fixer aucune limite» MISRA NOTO TORNIAINEN, ENTRAÎNEUR

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(LOÏC VENANCE/AFP)

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