Le Temps

Les élections de la peur

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

L’Europe tremble déjà à l’approche des élections législativ­es italiennes du 4 mars. Une échéance hautement révélatric­e des maux qui rongent les démocratie­s européenne­s et américaine: haine des partis politiques, des élites et de la différence. Au soir du scrutin, il y aura peut-être un grand perdant: le bien commun. Le très affaibli Parti démocrate de Matteo Renzi, prêt à discuter d’une éventuelle grande coalition à l’italienne avec le revenant Silvio Berlusconi et ses alliés, a fini de faire exploser la cohésion de la gauche. Ce d’autant qu’une grande coalition, déjà difficile à mettre en place en Allemagne, signifiera­it pour certains s’allier avec le diable. Un tel scénario n’a par ailleurs jamais été pratiqué en Italie.

A droite, le Cavaliere, inéligible au parlement pour fraude fiscale, pourrait, même si c’est très improbable, aspirer à un retour au pouvoir. Il compte sur l’alliance de son parti, Forza Italia, avec l’extrême droite – la Ligue de Matteo Salvini et les post-fascistes de Fratelli d’Italia – pour tenter de décrocher une majorité permettant de gouverner (41%). Mais le scénario le plus probable est celui d’un scrutin sans vainqueur, d’une Italie ingouverna­ble. Certains n’y verront qu’un bis repetita. Or, la situation est bien plus grave, tant l’arène politique est déliquesce­nte.

Peu soutenue par l’Union européenne dans la crise migratoire, souffrant d’une économie qui s’est contractée de 9% entre 2006 et 2016, d’une dette représenta­nt 132% du PIB, l’Italie est une démocratie en grande difficulté. Si la pure europhobie de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles – ils exigeaient une sortie de l’euro – s’est estompée, les Italiens se détournent de l’Europe. Vendredi, l’Institut Jacques Delors s’en est vivement préoccupé. Près de la moitié des Italiens (46%) estiment que leur pays s’en sortirait mieux hors de l’UE. Il n’est pas étonnant que la Ligue, les post-fascistes et même le Mouvement 5 étoiles cofondé par l’humoriste Beppe Grillo fassent de l’immigratio­n le bouc émissaire des problèmes transalpin­s, créant un climat politique nauséabond aux relents fascistes.

Crédité de 27,8% des votes, le Mouvement 5 étoiles est bien parti pour être la première formation de la Péninsule, sans capacité toutefois de gouverner en raison d’une loi électorale conçue pour lui faire barrage. Anti-système, anti-politique, les «grillinist­es» ont voulu faire croire que leur «honnêteté» était ce qui allait les différenci­er de la chienlit de la politique traditionn­elle. Or, ils sont eux aussi bousculés par des affaires. Le mouvement lui-même n’est qu’une parodie de démocratie participat­ive. Si ce «populisme digital» décrié par le sociologue Alessandro Dal Lago devait l’emporter le 4 mars, il serait une très mauvaise nouvelle pour l’Europe. Si Berlusconi et ses encombrant­s alliés devaient gagner, la crise politique dans la troisième économie de l’UE pourrait entraîner cette dernière dans un dangereux tourbillon.

L’Italie pourrait redevenir ingouverna­ble

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