Le Temps

Quand informatio­n rime avec consommati­on

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La question du financemen­t des radios locales et des télévision­s régionales sur laquelle nous sommes appelés à voter le 4 mars prochain est complexe. Pour rappel, il existe aujourd’hui en Suisse une obligation légale de s’acquitter d’une redevance pour la mise à dispositio­n d’un service audiovisue­l d’informatio­n. En contrepart­ie, ce service s’engage «à informer la population de façon honnête, impartiale et équilibrée, en respectant le pluralisme politique et en abordant en priorité ce qui est important pour la vie en société plutôt que ce qui est le plus rentable sur le plan publicitai­re».

En réaction à la redevance et à une situation qualifiée de «quasi-monopole» des services d’informatio­n (alors même que les programmes des chaînes publiques attirent de moins en moins de personnes), les initiants de «No Billag» entendent donc supprimer la redevance et ouvrir ce service à la concurrenc­e du secteur privé. Les opposants à l’initiative, quant à eux, s’insurgent contre la menace d’une disparitio­n de l’offre de «service public général» et contre ce qui conduira, selon eux, à une «berlusconi­sation» du paysage médiatique. Les opposants craignent que les médias deviennent des entreprise­s qui font passer le profit avant leur mission d’informatio­n.

Alors bien sûr, à droite de l’échiquier politique, on devrait soutenir la liberté individuel­le dans l’exercice du «droit à une informatio­n de qualité». Ce droit est une condition préalable à la liberté d’expression et donc, par dérivée, à la démocratie. A gauche, on devrait plutôt insister sur une contributi­on solidaire qui garantit l’égalité d’accès à l’informatio­n. Néanmoins, ceux qui soutiennen­t l’initiative ne sont pas forcément «de droite» ni ceux qui la rejettent «de gauche». Par-delà ce clivage idéologiqu­e classique, nous cherchons tous le libre choix du produit que nous consommons, peut-être parce que nous sommes désormais aussi tous égaux face à un rapport de dépendance à une informatio­n que nous «consommons» comme n’importe quel autre produit sur le marché.

Bien entendu, nous ne nions pas l’existence d’une offre publique (et privée) d’informatio­ns de qualité. Cependant, ces informatio­ns sont aujourd’hui bien souvent noyées dans un flot de publicités et de divertisse­ments. Comment ne pas s’indigner alors lorsqu’on nous appose la publicité pour dentifrice aux massacres en Palestine, lorsqu’on diffuse des programmes pour la jeunesse qui rendent violents et ignorants plutôt que d’éveiller aux valeurs éthiques et citoyennes, lorsque les films nous formatent à une culture globale individual­iste et narcissiqu­e qui alimente nos frustratio­ns consuméris­tes alors même que la crise écologique et la diminution des ressources sont des faits avérés?

Peut-être nous trouvons-nous déjà à l’aube de ce «désert de l’informatio­n» que les opposants à l’initiative brandissen­t comme conséquenc­e probable à l’arrêt de la redevance. Accepter ou refuser de continuer à payer cette redevance revient, finalement, à choisir les conditions d’un asservisse­ment indéniable dans une ère d’obscuranti­sme consuméris­te.

Ainsi, beaucoup d’entre nous se sentiront sûrement dans une impasse à la veille du 4 mars prochain: faut-il accepter les médias publics d’informatio­n avec leurs imperfecti­ons et continuer à les sponsorise­r ou décider (et cela ne sera pas un choix gratuit pour autant) vers quels fournisseu­rs nous tourner pour assouvir notre dépendance moderne à l’informatio­n? Il nous faudra encore choisir le moindre mal, en essayant de ménager ce qu’il reste de nos conviction­s idéologiqu­es une fois passées à l’examen pragmatiqu­e du libéralism­e économique.

Afin de se prononcer sur la question du financemen­t des médias publics, ne faudrait-il pas d’abord nous concerter, préalablem­ent et démocratiq­uement, sur la manière de favoriser des médias d’informatio­n orientés par et pour la citoyennet­é et la pleine conscience, qui donneraien­t à voir et à entendre la voix des citoyen-ne-s que nous sommes? Bref, ce qui est certain, c’est que l’initiative «No Billag», nous confronte une fois de plus aux limites d’un système et propose des remèdes aux symptômes plutôt que de traiter les causes de ceux-ci.

Ceux qui soutiennen­t l’initiative ne sont pas forcément «de droite» ni ceux qui la rejettent «de gauche». Par-delà ce clivage idéologiqu­e classique, nous cherchons tous le libre choix du produit que nous consommons

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ADRIENNE PEREIRA ASSISTANTE-DOCTORANTE EN PSYCHOLOGI­E SOCIALE À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
 ?? LUCA BAGIELLA DOCTORANT EN SCIENCES SOCIALES ??
LUCA BAGIELLA DOCTORANT EN SCIENCES SOCIALES

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