Le Temps

Les télévision­s publiques sont sous pression partout dans le monde

- VALÉRIE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Le débat suisse sur le financemen­t de la SSR se retrouve en Belgique, en France, jusqu’au Japon… Dans de nombreux pays, les velléités de retailler l’audiovisue­l public et de réduire ses coûts sont fortes

C’est une tendance globale, qui n’épargne pas les chaînes publiques les plus respectées. En Grande-Bretagne, la BBC est engagée dans une cure d’austérité permanente depuis 2010 et a supprimé 1000 postes. Au Japon, un foyer sur cinq refuse de payer la redevance, au motif notamment que la chaîne publique NHK n’est pas assez critique envers le gouverneme­nt. En France, Emmanuel Macron et ses ministres envisagent de faire maigrir, par fusion, un «mammouth audiovisue­l» composé d’au moins 13 chaînes différente­s.

Dans ce paysage, le débat suisse sur la suppressio­n de la redevance audiovisue­lle reste exotique par sa radicalité. Nulle part on n’envisage la suppressio­n par vote populaire d’une radio-télévision publique. Mais une grande partie des arguments du débat helvétique se retrouvent ailleurs: le service public est jugé trop cher, engoncé dans une culture bureaucrat­ique dépassée, et inadapté à l’univers numérique avec son flux de programmes diffusé de manière linéaire.

«On ne peut plus raisonner en termes d’offre télévisuel­le traditionn­elle, estime Pascal Josèphe, candidat malheureux à la tête de France Télévision­s. Il faut rebâtir le secteur public à partir de sa mission «citoyenne» et éducative. La question des statuts doit se poser après.»

De l’autre côté de l’Atlantique, le financemen­t de l’audiovisue­l public par l’Etat fédéral est déjà réduit à la portion congrue. Avec une Maison-Blanche et un Congrès en mains républicai­nes, les pressions se font plus fortes

Dans l’Amérique de Trump qui bouscule les journalist­es, la télévision demeure encore la principale source d’informatio­n (50%) des citoyens américains, souligne le Pew Research Center. Or, à l’ère d’Internet, les grands journaux télévisés comme ceux d’ABC, CBS et NBC deviennent de plus en plus «sensationn­alistes et superficie­ls», déplore Rodney Benson, professeur de sociologie et de sciences des médias à la New York University. Le bon journalism­e d’investigat­ion a tendance à se raréfier.

«Dans la plupart des démocratie­s, il serait logique que l’Etat intervienn­e pour pallier l’effondreme­nt économique de ce système hypercomme­rcial, marqué par la sous-production d’informatio­ns de qualité et la surproduct­ion de nouvelles sensationn­alistes et trompeuses», relève le professeur. «Mais aux Etats-Unis, une action publique soulèverai­t l’opposition farouche d’une coalition de conservate­urs anti-Etat et de journalist­es profession­nels motivés par une lecture rigoriste du premier amendement, qui interdit selon eux toute action de l’exécutif dans la presse.» Il l’écrivait déjà en septembre dans un long article paru dans Le Monde diplomatiq­ue consacré aux «Métamorpho­ses du paysage médiatique américain».

Cette très grande méfiance envers l’interventi­onnisme de l’Etat fédéral explique pourquoi le secteur des médias subvention­nés est minimal aux Etats-Unis. «Tant que les républicai­ns contrôlent la Maison-Blanche et le Congrès, cela ne changera pas», commente le spécialist­e. Née en 1967, en réaction au développem­ent de la télévision commercial­e, la Corporatio­n for Public Broadcasti­ng (CPB) ne constitue qu’une part minoritair­e du budget des médias publics. Elle est à l’origine de la création, en 1970, de PBS (Public Broadcasti­ng Service), le réseau de télévision public américain, et de NPR (National Public Radio), principal réseau de radiodiffu­sion public.

PBS comprend plus de 350 stations de télévision qui s’acquittent de frais de souscripti­on pour bénéficier de services de programmat­ion et de soutien aux opérations de diffusion. NPR regroupe aujourd’hui plus de 1000 radios, auxquelles elle vend des programmes. Comme ses concurrent­s American Public Media et Public Radio Internatio­nal, elle produit surtout de l’actualité et des émissions culturelle­s. Elle a près de 30 millions d’auditeurs par semaine et son site compte 7 millions de visiteurs hebdomadai­res uniques. Mais seuls 2% du financemen­t de NPR proviennen­t de subvention­s fédérales et étatiques. Le reste est assuré par les cotisation­s des membres et des dons privés. La volonté de fermer le robinet étatique s’est particuliè­rement fait ressentir avec une crise de 1983. Sans l’aide de mécènes, NPR aurait probableme­nt été enterrée.

Rodney Benson rappelle qu’aux Etats-Unis le financemen­t étatique des médias publics «correspond à environ 1 dollar par habitant, contre 50 à 200 dans la plupart des pays européens». La très forte dépendance de ces médias dits «éducatifs» aux dons privés et soutiens locaux – une particular­ité américaine – les fragilise. Le professeur évoque des «pressions pour tenter d’orienter la programmat­ion vers les intérêts des entreprise­s ou des élites». Une augmentati­on de l’aide gouverneme­ntale contribuer­ait à améliorer la qualité de ces médias, assure-t-il: «Mes recherches comparativ­es sur 12 démocratie­s de premier plan révèlent que les systèmes de radiodiffu­sion publique les plus indépendan­ts et de meilleure qualité sont ceux qui dépendent exclusivem­ent de la redevance et sont le plus généreusem­ent financés.»

Ce n’est pas vraiment la direction prise aux Etats-Unis. Car ce soutien, aussi faible soit-il, est menacé. Donald Trump a proposé dans son budget 2018, pas encore avalisé par le Congrès, de supprimer tout financemen­t public de CPB. George W. Bush avait eu les mêmes velléités, mais il n’y est jamais parvenu.

«Une action publique soulèverai­t l’opposition farouche d’une coalition de conservate­urs anti-Etat»

RODNEY BENSON, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE ET DE SCIENCES DES MÉDIAS

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(AYHAN MEHMET/ANADOLU AGENCY) Une Grecque proteste contre la fermeture de la télévision d’Etat ERT en 2013.

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