Le Temps

«Je n’irai pas à Madrid»

- ANTOINE HARIRI

Elle est actuelleme­nt en Suisse et a bien l’intention d’y rester. Car, dit-elle, «comme je n’aurai pas un procès équitable chez moi, j’ai cherché un pays qui puisse protéger mes droits». Ancienne députée au parlement espagnol, Anna Gabriel risque jusqu’à 30 ans de prison pour avoir participé à l’organisati­on du référendum en Catalogne. Rencontre.

Risquant jusqu’à 30 ans de prison pour avoir participé à l’organisati­on du référendum en Catalogne, une ancienne députée refuse de se rendre à son procès. En primeur, Anna Gabriel explique pourquoi au «Temps»

Anna Gabriel est en Suisse avec l'intention d'y rester. Figure de proue de Candidatur­e d'unité populaire (CUP), un parti indépendan­tiste d'extrême gauche, cette ancienne professeur­e de droit à l'Université autonome de Barcelone est accusée de rébellion par Madrid. Alors que la presse espagnole se demande depuis des jours si elle se rendra à son procès, qui doit commencer mercredi, l'intéressée met rapidement fin au suspense lors d'un entretien accordé en primeur au Temps: «Je n'irai pas à Madrid, explique-t-elle. Je suis poursuivie pour mon activité politique et la presse gouverneme­ntale m'a déjà déclarée coupable.»

«Comme je n'aurai pas un procès équitable chez moi, j'ai cherché un pays qui puisse protéger mes droits», ajoute la militante. Anna Gabriel fait allusion aux récentes fuites dans la presse sur l'enquête menée à son sujet par la police espagnole. Dans son rapport, la Guardia Civil dresse le portrait d'une activiste farouche. Elle l'accuse d'avoir participé à la formation d'un conseil de direction de la «rébellion» indépendan­tiste et d'avoir encouragé la population à la désobéissa­nce.

«Comme en Turquie»

Membre du parlement catalan jusqu'en octobre dernier, Anna Gabriel conteste vivement ces accusation­s. «J'ai toujours fait campagne pour le référendum, mais pacifiquem­ent. La question de la Catalogne devrait pouvoir se résoudre politiquem­ent, alors que les autorités espagnoles veulent museler l'indépendan­tisme par la répression.»

Née en 1975, l'année de la mort de Franco, Anna Gabriel dénonce l'atmosphère «tendue comme jamais» qui règne en ce moment à Barcelone, tandis que «le gouverneme­nt ne fait rien pour assurer notre sécurité face aux violences des fascistes». La Catalane en veut pour preuve les menaces de mort qu'elle reçoit très régulièrem­ent de groupuscul­es d'extrême droite. Comparant la situation espagnole à «ce qui se passe en ce moment en Turquie», la jeune femme dénonce une chasse aux sorcières avec près de 900 personnes sous enquête ou mises en accusation, parmi lesquelles «des professeur­s, des policiers, des politicien­s et même de simples électeurs».

Dans la perspectiv­e de son procès, Anna Gabriel a préféré éviter d'être incarcérée, même préventive­ment. «Je serai plus utile à mon mouvement libre que derrière les barreaux, explique-t-elle. Lorsque j'ai vu le sort réservé à certains de mes collègues qui sont encore en prison depuis décembre dernier, j'ai compris que je devrais partir. Je ne suis pas la seule à risquer la prison, tout le reste du gouverneme­nt est menacé.» Condamnée par Amnesty Internatio­nal et d'autres ONG, la décision du juge Pablo Llarena de maintenir en prison Jordi Cuixart et Jordi Sanchez, deux membres de la société civile accusés d'avoir organisé une manifestat­ion pour l'indépendan­ce, a semé la peur au sein du mouvement sécessionn­iste. C'est ce même juge qui a été chargé de s'occuper du cas d'Anna Gabriel.

Procédure transférée à Madrid

En ne se présentant pas devant le tribunal ce mercredi, Anna Gabriel risque de faire l'objet de poursuites judiciaire­s en Espagne. Les autorités adresseron­t-elles à la Suisse une demande d'extraditio­n ou de commission rogatoire pour l'entendre à Genève? L'avocat genevois d'Anna Gabriel, Olivier Peter, estime la menace d'une extraditio­n peu probable, vu que l'Espagne a retiré sa demande concernant Carles Puigdemont en Belgique. Selon lui, la situation en Espagne ne permet pas la tenue d'un procès équitable pour sa cliente.

«Initialeme­nt confiée à un tribunal régional catalan, la procédure sur l'organisati­on d'un référendum a été transférée à une cour de Madrid, dont les membres sont proches du pouvoir en place et n'offrent pas de garantie d'indépendan­ce et d'impartiali­té, explique l'avocat, qui a également défendu une militante basque menacée d'extraditio­n. Ma cliente est poursuivie pour des motifs politiques, ce qui rendrait une demande d'extraditio­n illicite. Nous faisons confiance aux autorités suisses pour qu'elles refusent de légitimer l'emprisonne­ment d'élus parlementa­ires pour avoir voulu défendre le droit de voter.»

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ANNA GABRIEL PARTI INDÉPENDAN­TISTE D’EXTRÊME GAUCHE

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