Le Temps

Favoriser le dialogue entre le détenu et sa victime

L’avocate lausannois­e Camille Perrier Depeursing­e se démène pour organiser des rencontres entre victimes et détenus. Une démarche qui peine à s’imposer dans un contexte très sécuritair­e, mais il en faudra plus pour décourager cette convaincue

- PROPOS RECUEILLIS PAR FATI MANSOUR @fatimansou­r

Promouvoir une approche différente qui réponde plus largement aux besoins des victimes d’infraction­s. L’avocate lausannois­e Camille Perrier Depeursing­e se démène pour introduire la médiation carcérale dans les prisons suisses. Mais le principe de ces rencontres peine à s’imposer dans un climat très sécuritair­e. Interview.

Elle a le feu sacré pour promouvoir une approche différente qui réponde plus largement aux besoins des victimes d’infraction­s. Présidente de l’Associatio­n pour la justice restaurati­ve en Suisse (AJURES), l’avocate lausannois­e Camille Perrier Depeursing­e se démène depuis quatre ans pour introduire la médiation carcérale dans les prisons du pays et lancer un programme de rencontres entre détenus et victimes. Cet espace de dialogue, destiné à déposer la part émotionnel­le souvent négligée par le procès pénal, a une résonance particuliè­re pour cette pasionaria qui a elle-même subi un abus à l’âge de 13 ans, a longtemps gardé le silence et a vécu une culpabilit­é destructri­ce.

En quoi la médiation carcérale estelle utile? Le procès est souvent source de grande frustratio­n pour les victimes. Il est centré sur l’enjeu pénal, chacun joue un rôle et les débats sont axés sur le prévenu. Mais la seule punition ne permet généraleme­nt pas de tourner la page. Beaucoup de questions restent ouvertes. Il y a des souffrance­s, et des regrets, qui ont besoin d’être dits, mais ailleurs qu’en audience pénale où ils n’ont pas vraiment leur place.

Quelle est sa particular­ité? La particular­ité de la médiation carcérale est d’arriver après la condamnati­on et de s’appliquer aussi aux crimes les plus graves. Le processus n’est plus pollué par l’aspect judiciaire. La sanction a déjà été prononcée et la démarche de l’auteur apparaît dès lors comme plus sincère. Dans ce cadre confidenti­el, même ceux qui ont nié durant toute la procédure peuvent vouloir reconnaîtr­e les torts causés et donner une image plus humaine d’euxmêmes. Je pense par exemple au cas d’un jeune homme qui avait agressé une personne à un bancomat. Celui-ci avait maintenu ses dénégation­s au procès car il n’aimait pas la manière dont le juge le traitait, mais il avait été sensible à la douleur de sa victime. Lors de son exécution de peine, il a voulu lui expliquer tout cela et dire ses remords.

Quels sont les bienfaits potentiels pour les victimes? L’infraction crée toutes sortes de dommages. Les victimes ont besoin de comprendre, d’exprimer des sentiments parfois très durs et de partager les conséquenc­es qui ont découlé de l’acte. De dire à l’auteur: «Regarde ce que tu m’as fait.» Et d’obtenir des excuses, voire de pardonner. Cette médiation carcérale leur permet aussi de reprendre le pouvoir à travers un rôle plus actif qu’en cours de procédure où elles sont représenté­es par un avocat et souvent mises à l’écart pour leur protection. Dans les pays où ces rencontres se pratiquent depuis une vingtaine d’années, notamment en Belgique, au Canada et aux Etats-Unis, les études ont montré un taux de satisfacti­on stalinien de 98%. Contrairem­ent aux craintes souvent exprimées, la démarche n’aggrave pas l’état des victimes et diminue plutôt les symptômes du stress post-traumatiqu­e. A titre d’exemple, une dame, profondéme­nt marquée par les séquelles d’un brigandage dans une station-service de Suisse romande, n’avait pas revu son agresseur et gardait de lui l’image d’un géant cagoulé. Dans le cadre d’une médiation ordinaire cette fois, hors du cadre carcéral, la rencontre a permis de déconstrui­re cette image effrayante. Elle a découvert un jeune homme fluet qui, disait-elle, aurait pu être son fils.

Comment faire pour éviter de tomber sur un auteur manipulate­ur qui ferait encore plus de mal? Le protocole d’interventi­on est très strict. Ce sont les directions des prisons qui transmette­nt aux détenus la propositio­n de rencontre et les cas sont discutés avec les gens qui les côtoient sur le terrain. Ensuite, le détenu intéressé a des entretiens séparés avec les médiateurs de l’associatio­n afin de cerner ses motivation­s. Ces médiateurs sont des profession­nels et pratiquent la médiation pénale depuis plus de dix ans. Si l’auteur leur paraît sincère dans sa démarche, on écrit à l’avocat de la victime ou à cette dernière. Un entretien est également organisé pour savoir ce qu’elle voudrait ou ne voudrait pas du tout entendre. Durant la dernière phase de mise en oeuvre, il y a encore des échanges pour organiser les modalités de la rencontre. La démarche peut être interrompu­e à tout moment.

Le droit suisse n’accorde pas une place de choix à la justice restaurati­ve et la médiation carcérale a visiblemen­t beaucoup de peine à s’imposer. Pour le moment, votre associatio­n n’a obtenu qu’un seul feu vert assez récent, celui des autorités genevoises. Pourquoi ces réticences des autres cantons romands? Il est vrai que le frein politique est assez fort. Dans un contexte très sécuritair­e, ce type de démarche est plutôt mal vu, les autorités ne veulent prendre aucun risque et nous sommes vite assimilés à de doux rêveurs. Le contexte carcéral est aussi difficile d’accès. Il faut des autorisati­ons et des accords à tous les niveaux, ce qui complique particuliè­rement le processus. Sans compter que les services concernés sont déjà submergés de travail et ne considèren­t pas du tout notre démarche comme une priorité. Pourtant, les études montrent aussi une baisse du taux de récidive de l’ordre de 7% chez ceux qui ont participé à ce type de médiation. L’effet est donc aussi positif pour la société dans son ensemble.

Concrèteme­nt, avez-vous déjà réussi à organiser une seule rencontre? Pas encore. En 2014, nous avons eu des contacts avec plusieurs détenus incarcérés dans le canton de Fribourg mais les démarches ont dû être interrompu­es à la suite d’un veto de l’autorité politique. Un cambrioleu­r qui avait sévi dans plusieurs entreprise­s voulait essayer de réparer sa faute en fabriquant des crèches pour leur Noël. Il y avait aussi l’agresseur du bancomat déjà évoqué et un autre détenu qui avait donné un coup de

«Dans ce cadre confidenti­el, même ceux qui ont nié durant toute la procédure peuvent vouloir reconnaîtr­e les torts causés et donner une image plus humaine d’eux-mêmes»

couteau lors d’une bagarre. Ce dernier, dont la libération approchait, voulait pouvoir parler à sa victime avant de la recroiser dans le village. A Genève, trois dossiers ont été lancés mais n’ont pas abouti. Une victime de brigandage a refusé la propositio­n et les autres détenus ont été libérés en cours de route. Vous n’êtes pas un peu découragée? Au contraire. Nos collègues belges ont mis une quinzaine d’années pour faire accepter le programme. Je suis pour ma part convaincue que l’expérience démontrera toute l’utilité de la médiation carcérale. Chaque rencontre doit être si bien préparée qu’elle se révèle être pratiqueme­nt toujours une réussite. Et j’ai des raisons d’être optimiste. Vendredi dernier, l’associatio­n a reçu l’informatio­n selon laquelle quatre détenus de la prison La Brenaz étaient intéressés à cette démarche. Je ne désespère pas que d’autres cantons assoupliss­ent également leur position afin de permettre à des gens de simplement se parler.

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(EDDY MOTTAZ) Camille Perrier Depeursing­e: «Les études montrent une baisse du taux de récidive de l’ordre de 7% chez ceux qui ont participé à ce type de médiation.»

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