Le Temps

L’étrange métamorpho­se des avalanches

ENVIRONNEM­ENT Cet hiver a d’ores et déjà été marqué par des avalanches extrêmes en Suisse. Coulées de grande ampleur et de formes atypiques se sont multipliée­s. Préfiguren­t-elles le futur de nos montagnes?

- JULIE SCHÜPBACH

Coulées de grande ampleur, de formes atypiques, drainant de la terre, des rochers, des arbres ou de la glace. Cet hiver a été marqué par un grand nombre d’avalanches dites mixtes. Les trajectoir­es de ces nouvelles formes de coulées neigeuses sont difficiles à prévoir et intriguent les scientifiq­ues.

Communes évacuées, stations de ski inaccessib­les, routes et lignes de chemin de fer coupées… le risque d’avalanche a été particuliè­rement marqué au début de l’hiver en Suisse. Les avalanches ont aussi été notables par leurs formes. Nombre d’entre elles étaient de grande ampleur, allant jusqu’à plusieurs centaines de milliers de mètres cubes de neige dans des cas extrêmes. Les scientifiq­ues ont aussi noté la multiplica­tion d’avalanches dites mixtes, qui dans certains cas charrient non seulement de la neige, mais aussi des éboulis, de l’eau et de la glace, et dont le comporteme­nt est difficile à prévoir. Une situation qui pourrait bien préfigurer l’avenir, dans un contexte de changement­s climatique­s.

Blocs rocheux, arbres et glace

Plus de trois à quatre mètres de neige accumulée dans certaines zones en Valais; un niveau de danger d’avalanche extrême de 4 ou 5 atteint dans presque toutes les Alpes; une partie de Zinal évacuée et la station de Zermatt coupée du monde. Des conditions aussi extrêmes n’avaient pas été vues en Suisse depuis près de vingt ans. En février 1999, de fortes précipitat­ions neigeuses avaient causé la tristement célèbre avalanche d’Evolène, ayant fait 12 morts. Particuliè­rement violente, cette dernière s’était déclenchée à plus de 2000 mètres d’altitude avant de dévaler la pente et d’atteindre le village.

Des avalanches, il en existe glo- balement de deux types, avec des comporteme­nts différents. Celles dites de neige sèche ou poudreuse, capables d’avancer à des vitesses de plus de 200 km/h en fonction de la pente. Elles sont réputées pour être très dangereuse­s et c’était l’une d’elles qui avait atteint Evolène. L’autre type de coulée, dit de neige mouillée, est plus lent en raison de l’augmentati­on de friction entre des flocons humides. De ce fait, la distance parcourue serait moins grande et ces coulées n’atteindrai­ent pas les villages.

Mais cet hiver, les conditions climatique­s se sont avérées assez inhabituel­les. Les précipitat­ions ont été abondantes et les variations de températur­es très marquées, avec de fortes variations de l’altitude du 0°C. Or ces conditions ne sont pas sans conséquenc­es sur le comporteme­nt et la taille des avalanches. «Cette année, nous observons beaucoup d’avalanches mixtes», dit Jürg Schweizer, directeur de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches à Davos (SLF).

Un décrocheme­nt dans la neige sèche peut ainsi entraîner de la neige mouillée, occasionna­nt alors une avalanche capable de descendre jusque dans les vallées, tout en transporta­nt avec elle blocs rocheux, arbres et glace. «Ces avalanches mixtes ont un comporteme­nt que nous connaisson­s moins et qui est plus difficile à prévoir», dit l’expert. Une fois dans leur zone d’arrêt, les avalanches de neige mouillée se scindent en plusieurs bras dont les directions ne sont pas aisément identifiab­les. Intrigués par la dynamique de ces coulées, des chercheurs ont d’ailleurs créé un pôle d’étude qui leur est spécifique­ment dédié au centre SLF de Davos.

Manteau neigeux stabilisé

«La science n’a pas encore percé tous les secrets des avalanches, explique Robert Bolognesi, nivologue et directeur de Météorisk. Il est encore impossible d’annoncer avec une totale certitude qu’une avalanche se déclencher­a à telle heure, dans tel ou tel couloir.» Dans ces conditions, apprendre à prévoir comment une avalanche se comportera dans sa zone d’arrêt pourrait être aussi important que d’être en mesure de dire quand et où une coulée se décrochera. «Nous devons donc anticiper, en considéran­t toujours plusieurs scénarios. Il est également très utile de modéliser l’écoulement des avalanches, et de calculer leurs distances d’arrêt et les pressions exercées pour positionne­r et dimensionn­er des ouvrages de protection», dit le nivologue.

Les avalanches observées cet hiver préfiguren­t-elles celles que vivra la Suisse dans les années à venir? «Il n’est pas possible de faire un lien direct entre les conditions météorolog­iques observées cette année et le réchauffem­ent climatique car la variabilit­é entre les hivers est trop forte. Ce qui est sûr est que cette saison n’est pas dans la norme avec un mois de janvier le plus chaud depuis 1864 dans beaucoup de régions, mais aussi l’un des plus humides», dit Markus Stoffel, climatolog­ue à l’Université de Genève. Or ces conditions météorolog­iques sont justement celles prévues en hiver dans nos régions, dans le cadre des changement­s climatique­s.

Plus l’air est chaud, plus il est capable de transporte­r de l’humidité et plus il peut amener de précipitat­ions. «Ce qui ne veut pas dire

«Ces avalanches mixtes ont un comporteme­nt que nous connaisson­s moins et qui est plus difficile à prévoir» JÜRG SCHWEIZER, DIRECTEUR DE L’INSTITUT POUR L’ÉTUDE DE LA NEIGE ET DES AVALANCHES Une avalanche à Gurtnellen, dans le canton d’Uri, le 23 janvier 2018.

que le danger d’avalanche est continuell­ement élevé. Au contraire, en dehors des périodes de crise, le manteau neigeux s‘est très vite stabilisé», indique le climatolog­ue. Cet hiver semble donc être un parfait terrain d’étude pour la dynamique des avalanches de grandes tailles: des coulées impression­nantes mais, surtout, aucun dégât humain. Une situation qui réjouit les experts du domaine.

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(KEYSTONE/URS FLUEELER)

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