En Grèce, le chaos et la survie
Le démantèlement de la chaîne ERT a avorté, tandis que l’appel d’offres pour les chaînes privées sombre dans la confusion
Alexis Tsipras ne pouvait pas être plus clair. Lorsqu’il prononce, en juin 2015, son fameux discours pour défendre la «souveraineté grecque» et la tenue d’un référendum sur le mémorandum de réformes exigées par l’Union européenne et le Fonds monétaire international, le premier ministre hellène, héraut de la gauche radicale, tient à s’exprimer en direct sur ERT, la télévision publique. Oublié donc, le chapitre chaotique ouvert par la décision de son prédécesseur, le conservateur Antonis Samaras, de fermer le groupe audiovisuel d’Etat.
Trois ans après, en ce début de 2018, celui-ci dispose même d’un canal supplémentaire: la chaîne Nerit, créée après l’interruption brutale, a depuis été maintenue, aux côtés d’ERT 1, ERT 2 et ERT3 pour la région de Thessalonique.
Nouvelles licences
Qu’en déduire? «Pas grand-chose, sinon que le vieux monde politique hellénique a réussi à survivre. Et le dinosaure télévisuel avec lui», ironise un diplomate grec, tout juste rentré d’un grand pays européen. Pour preuve: le feuilleton compliqué et à rebondissements des nouvelles licences de chaînes privées. Convaincus que le secteur pouvait être très lucratif pour des finances publiques grecques aux abois, les experts européens avaient préconisé en 2015 l’émission de quatre nouvelles licences pour remplacer les permis jusque-là provisoires octroyés aux sept chaînes privées existantes.
L’appel d’offres a eu lieu. Les candidats se sont manifestés, puis le Conseil d’Etat a cassé le dispositif. Chaos public d’un côté, chaos privé de l’autre: «On peut parler, en Grèce, d’un complexe politico-économico-télévisuel», juge Marie-Laure Coulmin Koutsaftis dans Les Grecs contre l’austérité (Ed. Le Temps des Cerises).
Une telle équation est-elle tenable dans un pays où les retraites ont été très durement amputées, et où l’économie privée demeure exsangue malgré l’amélioration des chiffres budgétaires (un excédent budgétaire primaire de 3,5% est prévu pour 2018)? 2600 salariés travaillaient pour l’ERT avant les réformes, dont 600 journalistes. Les nouveaux chiffres sont aujourd’hui impossibles à obtenir. «Les fonctionnaires forment toujours plus d’un quart de la population active grecque, poursuit notre diplomate. ERT est comme l’ensemble du secteur public: en mode survie.»
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