Le Temps

En France, le mal audiovisue­l est politique

- R. W.

Emmanuel Macron et la ministre de la Culture l’ont répété plusieurs fois: le regroupeme­nt de tout l’audiovisue­l public français à la manière de la BBC britanniqu­e serait un bon modèle Le constat fait presque l’unanimité: avec, au total, une dizaine de chaînes TV et radios, plus le réseau des antennes locales, plus Arte, plus le pôle «France Médias Monde» (composé de RFI et de France 24), l’audiovisue­l public français est obèse. Pas étonnant dès lors qu’Emmanuel Macron le qualifie de survivance du monde «ancien», c’est-à-dire de l’époque où Internet n’avait pas révolution­né les attentes du public.

«Dire «rien ne va plus» est la partie la plus facile, commente un ancien haut responsabl­e de France Télévision­s. Mais il faut, en France, ajouter deux remarques: 1. cette obésité est la conséquenc­e de décisions politiques successive­s; 2. tout remettre sous un même toit administra­tif ne réglera pas l’équation programmes-contenus.»

La volonté du quadragéna­ire président français de dégraisser le «mammouth audiovisue­l» public a trouvé son point d’orgue début décembre 2017. Celui-ci aurait alors parlé, devant les députés de la majorité, de «honte de la République», fustigeant «sa mauvaise gestion, son gaspillage, la médiocrité de ses programmes et les relations malsaines avec ses partenaire­s».

Des formules réfutées depuis par l’Elysée, où l’on ne se cache plus en revanche de vouloir profondéme­nt restructur­er un secteur qui dépense chaque année 4,5 milliards d’euros. «Je suis à la manoeuvre», répète, depuis le début 2018, l’éditrice et ministre de la Culture Françoise Nyssen qui, selon Le Monde, a ramené de sa visite à Londres le 9 janvier la conviction qu’une holding unique est la solution pour une cure d’amaigrisse­ment. Sur le modèle de la BBC britanniqu­e…

Le problème? «Il tient à une évidence simple: la France, avec sa tradition jacobine, verticale, et présidenti­elle, n’est pas le Royaume-Uni», sourit le journalist­e Philippe Kieffer, auteur de La Télé, dix ans d’histoires secrètes (Flammarion). «L’interféren­ce politique en matière audiovisue­lle est presque indissocia­ble de la République. La preuve? Regardez Arte: en France, c’est une chaîne dédiée. En Allemagne, ce sont des programmes intégrés à l’une des chaînes publiques. Quant au Conseil supérieur de l’audiovisue­l…» De fait, cette institutio­n créée en 1989 pour surveiller le secteur public a vu ses prérogativ­es changer selon les chefs de l’Etat. Et deux de ses dernières nomination­s nourrissen­t la polémique: celle de l’ex-PDG de Radio France Mathieu Gallet (révoqué le 31 janvier après sa condamnati­on par la justice pour «favoritism­e») et celle de l’actuelle patronne de France Télévision­s Delphine Ernotte (une enquête est en cours sur les conditions de son choix en avril 2015).

Faire mieux avec moins

Comment, dès lors, justifier une nouvelle donne? La première réponse apportée par l’équipe Macron est budgétaire. Financé par la contributi­on annuelle à l’audiovisue­l public – 139 euros payés par environ 20 millions de contribuab­les assujettis à la taxe d’habitation dont le logement est «équipé d’un téléviseur ou un dispositif assimilé» – le secteur doit, selon l’actuel gouverneme­nt, d’abord apprendre à faire mieux avec moins, car de plus en plus de Français écrivent au fisc pour dire qu’ils ne regardent plus la TV et refusent cet impôt.

Seconde réponse: les grilles de programmes à remplir ne sont plus pertinente­s à l’heure du «streaming». Pascal Josèphe, finaliste battu par Delphine Ernotte pour France TV, l’admet: «On ne peut plus raisonner en termes d’offre télévisuel­le traditionn­elle. Il faut rebâtir le secteur public à partir de sa mission «citoyenne» et éducative. La question des statuts doit se poser après.»

Un autre très fin connaisseu­r du sujet est le député européen centriste Jean-Marie Cavada, ex-PDG de Radio France. Son credo: «Si les chaînes publiques ne sont plus reconnaiss­ables par rapport à leurs concurrent­es privées, il y a un problème, c’est évident. Que les téléspecta­teurs disposent d’un droit d’inventaire ne me choque pas du tout», expliquait-il récemment sur France Info. Comme en Suisse, la controvers­e porte d’ailleurs avant tout sur la télévision publique: «Faisons un exercice simple que les Romands peuvent faire aussi, car ils regardent les chaînes françaises: combien de programmes TV de France 2 ou France 3 méritent aujourd’hui le label «service public»? Partons de là…» affirme un reporter de France 2.

Sauf qu’en France, tout est plus compliqué. Reconduite en octobre 2017 par le CSA à la tête de France Médias Monde, Marie Christine Saragosse vient ainsi de voir son mandat «annulé» pour non-déclaratio­n de patrimoine dans les délais impartis. Cela parce que, dit-elle, personne ne le lui a demandé. «L’audiovisue­l public français est… français, sourit Philippe Kieffer. Jusque-là, réformer a toujours consisté à modifier ou à rajouter des strates. Jamais à en enlever.»

«Si les chaînes publiques ne sont plus reconnaiss­ables par rapport à leurs concurrent­es privées, il y a un problème, c’est évident» JEAN-MARIE CAVADA, EX-PDG DE RADIO FRANCE

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