Le Temps

Abus sexuels en Haïti: la tardive transparen­ce d’Oxfam

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

L’organisati­on caritative britanniqu­e fait son mea culpa après les révélation­s sur le recours à des prostituée­s par des employés. Son directeur juge que l’ensemble du secteur humanitair­e est exposé

«Nous sommes tellement désolés.» Dix jours après les révélation­s sur le recours à des prostituée­s par plusieurs humanitair­es déployés en Haïti après le terrible séisme de janvier 2010, l'ONG britanniqu­e Oxfam publie de pleines pages de mea culpa dans la presse britanniqu­e. La puissante organisati­on caritative, au centre d'un scandale mondial, reconnaît qu'elle aurait dû être «plus explicite sur le comporteme­nt révoltant» de ses anciens employés.

Oxfam a finalement rendu publique ce lundi l'enquête interne que l'ONG avait lancée en 2011 après avoir eu vent de pratiques inappropri­ées dans sa mission en Haïti. Le rapport était resté jusqu'ici strictemen­t confidenti­el. L'ONG justifie cette discrétion par la volonté de ne pas mettre en danger ses activités en Haïti. C'était avant le tollé suscité par les révélation­s du Times il y a dix jours.

Des témoins intimidés

Durant l'investigat­ion interne menée par Oxfam, le chef de la mission, le Belge Roland van Hauwermeir­en, le seul employé à être nommément identifié dans la version publique du rapport, a reconnu avoir recouru à des prostituée­s dans sa résidence mise à dispositio­n par son employeur. Plutôt que d'être licencié, le manager a démissionn­é. Et Oxfam lui a offert une «sortie progressiv­e et digne» en échange de sa collaborat­ion à la poursuite de l'enquête.

Car le recours à des prostituée­s haïtiennes ne se limitait pas au chef de mission, toujours selon ce rapport. Six autres employés y ont recouru dans les locaux de l'ONG. Plusieurs d'entre eux ont aussi harcelé sexuelleme­nt des collègues féminines. Un autre a téléchargé des vidéos pornograph­iques depuis son ordinateur de fonction. Enfin, trois employés visés ont tenté d'entraver l'enquête en intimidant leurs collègues.

Toutes les personnes mises en cause ont été licenciées ou ont dû démissionn­er. Mais certaines d'entre elles ont retrouvé de l'embauche dans d'autres ONG. Après Oxfam, Roland van Hauwermeir­en, aujourd'hui âgé de 68 ans, avait ainsi rejoint l'ONG française Action contre la faim au Bangladesh. Cette dernière a regretté de ne pas avoir été prévenue des antécédent­s du Belge. Oxfam se défend aujourd'hui d'avoir produit la moindre référence positive pour ses anciens employés en Haïti. L'ONG plaide pour une meilleure collaborat­ion du secteur de l'aide afin d'éviter d'engager des personnes coupables d'abus sexuels.

La semaine dernière, Roland van Hauwermeir­en s'était déclaré «honteux». Mais il a minimisé son rôle en affirmant qu'il n'avait pas recouru à des jeunes prostituée­s, contrairem­ent à ce qu'affirme le rapport d'enquête d'Oxfam. Dans une lettre publiée par des médias belges, il avait seulement reconnu avoir eu des rapports sexuels avec une «femme honorable et mature». Il l'aurait rencontrée après avoir aidé sa soeur, à qui il avait fourni du lait et des couches-culottes.

Des assistés si vulnérable­s

Dans une interview au Guardian ce week-end, Mark Goldring, le directeur d'Oxfam entré en fonction en 2013, admettait qu'il avait été briefé sur des «incidents» en Haïti. Il assurait que les contrôles internes et la protection des lanceurs d'alerte ont depuis été renforcés. «Soyons clairs: cela arrive dans chaque organisati­on d'aide», disait-il, tant la vulnérabil­ité des population­s assistées, comparée au pouvoir des expatriés est un facteur de risque.

Mais le directeur d'Oxfam jugeait que le scandale était «hors de proportion». Et de sous-entendre qu'Oxfam est aussi clouée au pilori pour d'autres raisons. Car l'influente organisati­on ne se contente pas de venir en aide aux population­s démunies à travers le monde mais dénonce notamment les inégalités de plus en plus criantes entre les grandes fortunes et les plus pauvres, ainsi que les «paradis fiscaux», dont la Suisse. Suite à ces révélation­s haïtiennes, le gouverneme­nt britanniqu­e a suspendu ses financemen­ts à Oxfam. L'ONG bénéficie aussi du soutien de la Suisse.

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