Un candidat communiste à abattre
Les médias du pouvoir s’efforcent de laminer la réputation du principal rival de Vladimir Poutine. Ce qui ne l’empêche pas de progresser dans les sondages
Les adroites manoeuvres du Kremlin pour contrôler la vie politique russe vont-elles se solder par une sortie de route? Au début de la campagne présidentielle, le candidat communiste Pavel Groudinine semblait parfaitement correspondre aux desseins de Vladimir Poutine pour s’assurer une confortable réélection-plébiscite dès le premier tour, le 18 mars prochain.
Pavel Groudinine n’est pas un candidat communiste comme les autres. Les mauvaises langues disent qu’il n’a de communiste que le nom de sa société: le Sovkhoze Lénine. Remplaçant surprise, et au pied levé, de l’éternel leader du Parti communiste de la fédération de Russie Guennadi Ziouganov, le candidat Groudinine affiche un profil pas vraiment taillé pour diriger le second parti du pays. Agé de 57 ans, directeur d’entreprise surnommé «le roi de la fraise», millionnaire en francs, il a été membre du parti de Vladimir Poutine Russie Unie. Et ne possède toujours pas la carte du Parti communiste.
Très à l’aise devant les caméras
Pour compenser ce handicap face à la base, Pavel Groudinine dispose d’atouts. Moustachu débonnaire très à l’aise devant les caméras, présentant son programme comme du «socialisme à visage humain», il tranche favorablement par rapport à son terne prédécesseur Ziouganov, engoncé dans sa phraséologie soviétique. Le parti de Lénine et de Staline prendrait-il un virage social-démocrate à l’instar de nombreux partis d’Europe centrale? Pas vraiment. Pavel Groudinine dit de Staline que «c’est un grand homme avec sa volonté trempée dans l’acier qui a permis au pays de gagner la [2e] guerre [mondiale]».
«Il est peu probable que Groudinine change le KPRF (le Parti communiste). C’est plutôt lui qui doit changer pour épouser les attentes de la plus grande part de son électorat», estime le politologue Alexeï Makarkine. L’identité du KPRF a toujours été la résistance aux réformes, un conservatisme socio-culturel mâtiné de nationalisme et d’anti-occidentalisme. «La mission de Groudinine est d’élargir l’électorat, tout en gardant la base actuelle.»
Jamais incisif à l’endroit du chef de l’Etat russe, Pavel Groudinine assure que son objectif est d’infléchir la politique gouvernementale. Comme s’il visait le poste de premier ministre et non celui de président. Mais malgré sa modération, le candidat est devenu l’homme à abattre. L’inquiétude du Kremlin reposerait sur des enquêtes d’opinion tenues secrètes et impossibles à vérifier puisque les principaux instituts de sondage sont contrôlés par le Kremlin. Le seul institut indépendant, Levada, s’est vu interdire tout sondage à caractère politique au début de la campagne. Seul indicateur tangible d’une émergence de Groudinine, un sondage réalisé en direct sur la radio d’Etat Vesti-FM qui lui accorde 45% des intentions de vote, juste derrière Vladimir Poutine (50%).
De mystérieux comptes en Suisse
Le Kremlin sent-il une menace ou s’irrite-t-il simplement devant une demande d’alternance se coagulant peu à peu sur Groudinine? Le traitement médiatique du candidat communiste offre un signe tangible de sa nervosité. Une campagne de diffamation a démarré à la mi-janvier sur les chaînes de télévision et dans les journaux loyaux envers le Kremlin. Tous se sont mis à «faire des révélations» sur «les comptes en banque cachés en Suisse», les «arnaques de ses anciens co-actionnaires» et sa «propriété d’une villa en Europe». La commission électorale lui a asséné un coup de massue à la mi-février, en menaçant de l’éliminer s’il ne «fermait pas immédiatement ses comptes bancaires en Suisse».
Un décompte statistique des mentions (positives et négatives) des candidats dans les médias russes, réalisé par la société spécialisée Medialoguia pour le compte du quotidien Vedomosti, montre l’évolution drastique de son traitement médiatique. S’il était fréquemment mentionné, et de manière neutre, au début de la campagne (de mi-décembre à mi-janvier), il a commencé à subir de virulentes attaques à la fin janvier. «Tous les candidats bénéficient d’une couverture allant de neutre à favorable, à part Groudinine, à qui échoient 80% de sujets négatifs dans les bulletins d’information», note le secrétaire du comité central du KPRF Sergueï Oboukhov, cité par Vedomosti. Et si cette nouvelle identité de cible du pouvoir embellissait Groudinine aux yeux des Russes?