Le Temps

«Le Magic Pass? Il ne crée pas de nouveaux skieurs»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE CHRISTINAZ @Caroline_tinaz

L’initiative des 25 stations romandes n’est pas la solution, critique Laurent Reynaud. Pour le délégué général de Domaines skiables de France (DSF), casser les prix revient à cannibalis­er les concurrent­s

Alors que les 25 stations unies autour de l’offre du Magic Pass ont le sourire figé cet hiver, l’initiative proposant des forfaits à prix cassés laisse les observateu­rs dans le doute. En France, Laurent Reynaud, délégué général de Domaines skiables de France, met le doigt sur un souci majeur: la baisse du vivier des skieurs, que la seule diminution des tarifs ne pourra pas résoudre.

Pourquoi le Magic Pass n’est-il, à vos yeux, pas la solution? L’initiative est strictemen­t tarifaire. Quand on est une station, on s’adresse à un marché limité: ceux qui savent skier. En cassant les prix, on ne crée pas de nouveaux skieurs. On ne fait que transférer les clients d’une station à l’autre. En d’autres termes, on joue au jeu des vases communican­ts, avec destructio­n de valeur au passage. L’enjeu est d’augmenter la part de skieurs au sein de la population. En France, seuls 13% des habitants du pays skient. Nous souhaitons augmenter cette part à 15%, voire 18%. Selon moi, il est nécessaire d’appliquer une stratégie marketing ciblée pour y parvenir.

Par exemple? Le ski, ce n’est pas n’importe quoi. C’est un loisir sportif. J’entends donc qu’il nécessite une condition physique, mais surtout un apprentiss­age. On ne prend pas de plaisir à skier sans avoir acquis une certaine technique. Il existe des initiative­s très intéressan­tes au Canada ou aux Etats-Unis et nous cherchons à nous en inspirer en France. Ce sont par exemple des programmes de recrutemen­t qui s’adressent à des non-skieurs – et c’est là le point important – à qui on propose des forfaits gratuits ou à des tarifs très bas. Mais également des leçons de ski ainsi que du matériel. En gros, on va chercher les clients en leur proposant des offres en fonction de leur âge et de leur activité.

C’est une grosse opération de marketing… Oui. On est dans une opération de véritable recrutemen­t. Dans ce cas-là, pour convaincre les gens d’essayer et peut-être d’adopter le ski, baisser les prix est une stratégie qui a du sens.

Au-delà du Magic Pass en Valais, Saas Fee a également choisi de baisser les prix. L’opération semble lui convenir puisqu’elle a réitéré l’expérience cette année. L’opération fonctionne parce que la station était la seule à le faire. Mais on ne peut pas pratiquer des tarifs deux ou trois fois moins élevés que le prix du marché, et que le coût réel aussi d’ailleurs, si on n’a pas cannibalis­é une partie de la fréquentat­ion des autres stations. Si aujourd’hui des concurrent­s imitent Saas Fee, elle va à son tour se retrouver cannibalis­ée. Elle ne tournera plus et elle devra donc à nouveau augmenter le prix de son forfait. C’est très artificiel. Jusqu’à preuve du contraire, cette initiative n’a pas créé un seul nouveau skieur en Suisse.

Le prix élevé des forfaits est donc justifié? Ce n’est pas par pur plaisir qu’on vend un forfait de ski relativeme­nt cher. C’est parce qu’il y a des charges importante­s, d’exploitati­on, d’investisse­ment, qui sont très lourdes. Plusieurs stations sont déjà déficitair­es. C’est une réalité à la fois suisse et française. Si en plus on fait du dumping, comme c’est le cas ici, on prend un risque au niveau de la branche.

Quelles seront, selon vous, les conséquenc­es du Magic Pass? Je ne suis qu’observateu­r, je ne suis pas prescripte­ur et encore moins prophète. Mais il va sans doute y avoir un contrecoup à la suite de cette politique tarifaire agressive.

«Ce n’est pas par plaisir qu’on vend un forfait de ski relativeme­nt cher»

Les stations françaises en souffrente­lles? Non, je ne pense pas qu’elle ait d’impact sur nos stations. Peutêtre que les Portes du Soleil, situées à la frontière, en pâtissent un peu. Avec votre franc fort, les destinatio­ns touristiqu­es suisses sont de toute manière dans une situation défavorabl­e par rapport à la zone euro.

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LAURENT REYNAUD DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE DOMAINES SKIABLES DE FRANCE

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